critique &
création culturelle

Distanciation critique

Synovie est une pièce jouée cette semaine au Théâtre de la Vie à Bruxelles. Véritable autofiction, elle questionne les rapports qui s’établissent entre un je et un nous, mais aussi entre réalité et fiction, et entre mensonge et vérité.

Une adolescente de quinze ans est atteinte d’une maladie inconnue qui la paralyse lentement et à laquelle aucun médecin ne parvient à trouver un remède. Si le père ignore le souci, la mère remue ciel et terre pour trouver des soins à son enfant. Ainsi commence une longue recherche, à la découverte du mal dont souffre l’adolescente et avec lequel elle devra apprendre à vivre.

La pièce est une autofiction. Il y a quatre personnages en scène : l’adolescente, la mère, un jeune médecin qui parfois change de rôle, et le narrateur. Celui-ci sort régulièrement de son rôle de conteur pour devenir à son tour un des personnages, le chercheur. Les protagonistes sont conditionnés dans leur action par le narrateur, malgré une certaine évolution psychologique tout au long du spectacle. Le décor est composé d’un tapis rond sur lequel se déroule la quasi-entièreté de la pièce, comme pour mettre les personnages en évidence. Tout autour, des tables sont disposées, avec dessus un cahier de dessin, deux assiettes, et d’autres objets. Quelques chaises serviront aux personnages pour s’asseoir.

Photo © Quentin Marteau

L’histoire est racontée par un homme assez âgé, assis à un pupitre situé au devant de la scène. La pièce s’ouvre sur la voix de la jeune fille, qui annonce qu’elle va raconter son histoire, avant que le narrateur ne prenne le relais. Cet homme assume en quelque sorte le discours de la jeune fille et se charge de raconter son histoire. Son objectivité laisse peu de place aux sentiments. Ce mécanisme crée une distance presque médicale entre la pièce et le spectateur, qui assiste impuissant à la scène. Pendant que le narrateur parle, les personnages jouent leur rôle, et leurs voix passent presque inaperçues. Objets de fiction, ils s’échappent du texte pour devenir réels. Ils sont comme des pantins, exécutent l’action plus qu’ils ne la vivent, éléments d’une histoire racontée au passé. De temps à autre, les personnages s’arrêtent dans leurs actions, et Jessica prend la parole afin de raconter sa façon de voir et de sentir les choses. Puis la scène redémarre, comme si le bouton « pause » venait d’être relâché. Ces interruptions sont une façon pour Jessica de casser la distance entre elle et son histoire, et de s’impliquer dans la vie.

La maladie est certes abordée sur le ton de la gravité, mais elle l’est aussi sur celui de l’humour. Cette manière d’aborder son problème avec légèreté permet à Jessica de prendre ses distances avec ce qui se passe dans son corps afin de mieux le vivre. Bien que malade, l’adolescente ne se décourage pas et est même soulagée d’apprendre qu’elle a une vraie maladie. Elle vivait jusqu’alors dans le doute, car les autres ne la croyaient pas vraiment malade. La révélation de sa maladie la fait finalement renaître aux yeux de son entourage, qui la voit dès lors autrement ; elle semble exister à nouveau.

Souffrir d’une maladie inconnue et entendre sans cesse les médecins répéter que tout se passe dans la tête alors que la douleur, elle, est bien présente est une situation horrible. Et cette manière d’utiliser l’autofiction nous éloigne encore de cette réalité vécue par une personne malade, pour finalement nous amener à reconsidérer nos interactions humaines.

Synovie
De Jessica Gazon
Mise en scène : Gazon-Nève et Cie
Avec Jessica Gazon, Stéphane Pirard, Maurice Sévenant, Laurence Warin
Vue le 11 novembre au Théâtre de la Vie