Bien des choses ont changé depuis la création de Dom Juan à Paris en 1665, mais le théâtre de Molière, qui explore des sentiments intemporels, ne prend pas une ride. Dans Dom Juan , il est surtout question de liberté et d’athéisme — valeurs chèrement payées et défendues ces derniers jours.
Si la pièce de Molière a scandalisé à l’époque, l’on ne s’émeut plus guère de l’impiété de Dom Juan. Mais son appétit vertigineux de liberté et de femmes continue d’enflammer le public. On a envie tout à la fois d’applaudir et de gifler le goujat magnifique , de débattre avec le raisonneur précurseur des Lumières, et de rassurer l’homme qui remplit ses jours et ses nuits de petites morts parce qu’il craint la vraie.
Bernard Yerlès excelle à faire briller toutes ces facettes du personnage. Ni jeune premier ni vieux beau, il a l’élégance de l’homme de cour et la hardiesse de l’homme de guerre, et une rage latente sous-tend son jeu de bout en bout. On oscille sans cesse entre frisson et rire, entre espoir de rédemption et consternation. On doit cela au texte, bien sûr, qui virevolte de vers en vers entre débat philosophique, franche farce et mysticisme le plus sombre.
Quelques très bons acteurs font honneur à cette pièce versatile : Benoît Vandorslaer excellent en Sganarelle sympathique et pleutre, Maroine Amimi en Pierrot attachant, et Luc Van Grunderbeeck , très impressionnant en pauvre hère (il interprète aussi Dom Louis, l’austère père de Dom Juan). Laetitia Riva nous offre aussi une belle tranche de rire en madame Dimanche dans une séquence qui détone par sa bouffonnerie, mais c’est une bouffée d’oxygène dans la deuxième partie, tellement plus sombre que la première. Je m’interroge cependant sur le traitement accordé au Commandeur, dont le vilain costume et l’attitude grotesque gâchent quelque peu le rôle très grave. Mais cela correspond bien à l’esprit toujours nuancé dans la pièce qui ne donne jamais tout à fait dans la tragédie ou la comédie, et Molière n’aurait peut-être pas dédaigné cette façon de faire.
Le traitement est assurément classique. Pas d’effets ébouriffants, pas de décor invraisemblable, pas d’excentricité dans les costumes. Mais quelle allure ! Le décor Art déco, tout en bois, est d’une magnifique rigueur. Les costumes (la robe de mariée d’Elvire, la livrée de Sganarelle !) sont superbes, et la mise en scène est élégante et efficace. Il en ressort une impression de délicatesse à l’égard du public et d’immense respect pour l’œuvre de Molière. Un beau moment de théâtre