Ébats et badauderies
Après Kermesse , Trop de Guy Béart tue Guy Béart ou encore Poney pour toujours , la Compagnie Victor B. continue de détonner et d’étonner avec son hilarant spectacle Francis sauve le monde , adaptation brillante de la série de bandes dessinées Francis blaireau farceur de Claire Bouilhac et Jake Raynal. Une drôlerie déconcertante à voir au Théâtre de Namur du 12 au 23 janvier.
Le plateau, meublé d’une multitude de tablettes blanches Ikea décorées par des peluches et des figurines en tout genre, fait d’emblée penser tant à une chambre de gosse qu’à un laboratoire scientifique. Rappelant également les cases blanches de la bande dessinée, ces tablettes, théâtres de marionnettes modernes, démultiplient les espaces scéniques où les trois excellents comédiens partagent avec nous les aventures, somme toute banales, de Francis, un blaireau ordinaire.
Blaireau au sens propre comme au figuré – Francis est effectivement « faible, lâche, cynique, cruel, égocentré », influençable, idiot et amoral –, le héros de l’histoire « se promène dans la campagne » quand « soudain »… il lui arrive toutes sortes d’aventures. Sa femme fait un déni de grossesse, il tombe sur la seringue d’un toxicomane séropositif, il décide de faire de la chirurgie esthétique, il se fait embrigader dans un parti fasciste, il chope la gangrène, il décide de se suicider, il s’essaye au sado-masochisme avec sa femme, il baise celle de son ami Lucien Lapin, il fait un mariage mixte, il devient militant écolo… et j’en passe ! Mû par ses pulsions et ses plus bas instincts (« boire, baiser, bouffer »), il abandonne toute morale, toute fidélité, toute culpabilité face à chacune de ces situations.
Passant au crible les caractères et comportements humains de façon lapidaire, nous ne sommes pas loin des fables de La Fontaine. C’est toute la société qui se voit analysée et observée sans scrupules. La pièce nous offre une vision mordante mais juste des passions et des travers humains, avec un humour, noir parfois, mais toujours corrosif. La conclusion est simple : l’homme est ainsi fait qu’il cherche toujours son profit, et s’en lave les mains. Mais parfois, ça le ronge à l’intérieur…
Cette nouvelle création de la Compagnie Victor B est un vrai régal. L’adaptation et la mise en scène du Namurois Jean-Michel Frère, toujours aussi décalée et originale, est un plaisir pour les yeux. Adepte du mariage des arts, c’est au neuvième que la compagnie s’attaque cette fois. Si porter une BD sur les planches d’un théâtre n’est pas une première – bien que cela soit chose rare –, le résultat est ici plutôt efficace. La réunion des deux (et non l’assimilation de la première par le second, car on continue de sentir le comic strip) crée une dynamique percutante. Comme à la lecture, les histoires s’enchaînent, toutes plus invraisemblables les unes que les autres, et, comme à la lecture, le rire est au rendez-vous. Parce que finalement… invraisemblables, vraiment ?
Les acteurs, qui narrent à tour de rôle les aventures de Francis, sont impeccables. Le ton de la BD est conservé, mais avec une couche supplémentaire de plaisir, puisqu’il est vivant. Le détachement obligé de la narration est d’une justesse insolite et délirante. Pauline Desmarets, Sébastien Derock et surtout Simon Wauters sont épatants. À la fois conteurs, ils sont aussi semblables à des enfants qui, seuls au fond de leur chambre, se racontent des histoires à coucher dehors – et à se rouler par terre – avec le sérieux et la conscience professionnelle de scientifiques, fins observateurs des travers des adultes autour d’eux.
Mention spéciale pour le tour de force qu’ils ont relevé en racontant en rébus et avec des jouets, la manière dont la femme de Francis l’attaque en justice. Un pur plaisir poétique !