critique &
création culturelle
El mal querer
ou l’album espagnol de l’amour obscur

Rosalía Vila Tobella, chanteuse espagnole de 25 ans, surprend son public avec son second album, El mal querer, teinté d’amour obscur. Que d’éloges pour la catalane et son album conceptuel sorti en mai 2018.

Après avoir sorti un premier album, Los Ángeles, passé presque inaperçu en 2017, ce second album-projet, qui lui a valu deux récompenses aux Latin Grammy Awards, a rencontré un énorme succès et ce au-delà des frontières espagnoles.

Electro, R&B, trap, pop et flamenco, son album-projet mêle musiques du passé et musiques actuelles. Nous sommes bien loin du reggaeton et des basses lourdes venants d’Amérique latine. Avec les touches de flamenco qu’elle dit adorer, Rosalía rend hommage à son pays, sa région, son village et ses traditions dans cet album conceptuel.

El mal querer, « vouloir le mal » en français, s’inspire d’un récit occitan, Flamenca , paru vraisemblablement entre le 13e et le 14e siècle, qui narre une relation amoureuse passionnée et toxique.

Composition de l’album

Son album est divisé en onze titres qui correspondent à onze chapitres qui relatent les étapes d’une relation d’amour toxique. Au fil de ces chapitres, le personnage féminin, incarné en l’occurrence par la chanteuse espagnole, va évoluer vers l’émancipation, l’ empowerment .

L’augure, avec Malamente : moment « prémonitoire », où l’on sait où cette relation amoureuse va mener mais on y va quand même.

Le mariage, avec Que no salga la luna (« Ne laissez pas la lune se lever ») : engagement dans une relation amoureuse, on y perd une partie de soi.

La jalousie ( Pienso en tu mirá – « Je pense à ton regard ») : sentiment qui ronge de l’intérieur, possession et intimidation, ici, de l’homme envers la femme dans une relation amoureuse.

Le différend ( De aquí no sales – « D’ici tu ne sors pas ») : moment d’incompréhension où violence et amour vont de pair.

La lamentation ( Reniego – « Déni ») : extrême souffrance de la femme qui doit faire semblant d’être normale pour ne pas mettre l’homme en colère et rendre les choses encore pires.

La fermeture ( Preso – « Prisonnier ») : voix de l’actrice Rossy de Palma qui raconte la façon dont une relation toxique vous attrape à votre insu.

La liturgie ( Bagdad ) : description d’un véritable enfer.

L’extase ( Di mi nombre – « Dis mon nom ») : représentation d’une femme puissante au moment de l’extase (la rencontre sexuelle) avec un homme.

La conception ( Nana – « Comptine ») : parle d’un enfant non désiré.

La raison ( Maldición – « Malédiction ») : prise de conscience.

Le pouvoir ( A ningún hombre – « À aucun homme ») : représentation d’un femme forte.

Cet album est donc plus qu’une succession de chansons, il s’agit d’une vraie histoire, relation amoureuse qui évolue du début à la fin.

Clip vidéos

Malamente, « Mal » en français, est le premier titre de l’album et le plus connu : son clip vidéo comptabilise plus de 60 millions de vues aujourd’hui. L’esthétique de ce clip est millimétrée : entre corrida, tenues de possessions espagnoles et pas de danse hip-hop, Rosalia arrive à se faire rencontrer deux univers que tout oppose.

Dans ces clips vidéos, les chorégraphies, l’iconographie et les effets visuels sont parfaitement pensés pour coller aux paroles de la chanson et surtout à la sémantique.

Par exemple Pienso en tu mira, « Je pense à ton regard » en français , s’ouvre sur une petite poupée en tenue de flamenco attachée au rétroviseur d’un camion se balançant à l’allure de la vitesse du véhicule, rappel évidemment de l’influence flamenco. Ensuite, on peut y voir des camionneurs sur lesquels la caméra fait un focus, une tache de sang grandissante au niveau de leur poitrine, on peut y voir également des hommes armés autour de la chanteuse notamment. Cette chanson correspond au chapitre 3 et parle donc de jalousie en amour, une jalousie similaire à une blessure par balle qui entache la poitrine, une jalousie qui rend violent et menaçant.

Ça me fait peur quand tu sors
En souriant dans la rue
Parce que tout le monde peut voir
Tes petites fossettes qui ressortent

Et de l’air quand il circule
Pour te soulever les cheveux
Et de l’or qui t’habille
Pour s’attacher à ton cou
Du ciel et de la lune
Pour que tu aimes les regarder
Jusqu’à l’eau que tu bois
Quand tu mouilles tes lèvres

Je pense à ton regard, ton regard, fixé en moi, comme une balle fichée dans ma poitrine

Dans ses autre morceaux, on y retrouve des samples et des mélodies de Cry me a river de Justin Timberlake pour son titre Bagdad , de Answers me de Arthur Russell pour son titre Maldición et un hommage au groupe R&B Destiny’s Child et leur titre Say My Name pour Di mi nombre .

El mal querer

Rosalía

Sony music, 2018
30 minutes