L’investigation de Michel Bellier sur l’exploitation du charbon à Valencienne a donné naissance à Et des poussières… qui redonne vie à l’âme des anciens mineurs de fond.
Cette pièce n’est qu’une simple contribution à la mémoire des mineurs. 1
Déjà en scène avant que je m’installe dans la salle des voûtes du Théâtre Le Public, trois acteurs semblent attendre depuis toujours dans une grande cage en métal. Le premier, c’est Tad. Il est d’origine polonaise, les polacks comme on les appelait. Assise à la même table, il y a Rosa, sa femme. Jeune et belle Italienne lorsqu’il se sont mariés, elle se présente aujourd’hui comme fille, petite-fille, mère et veuve de mineures. À l’autre bout de la cage, Saïd dort sur un lit de camp. Lui, il a été recruté au Maroc par l’ancien colonial Félix Mora. C’est comme ça qu’il est arrivé en France.
L’un après l’autre, ils nous racontent comment ils en sont arrivés à quitter leur pays pour une vie de misère. Une vie où il fait nuit le jour et où chaque matin, lorsqu’ils entrent dans la « cage » pour descendre douze mètres par seconde, ils ne sont jamais sûrs de remonter. « Si tu mets un pied dans la cage, tu mets l’autre dans la tombe », nous expliquent-ils.
Entre chacune de leurs interventions, Emmanuel De Candido − dans un rôle d’historien dont on ne connaîtra jamais le nom − nous ramène au présent. Il explore les archives de la mine, un peu comme Michel Bellier l’a fait pour écrire sa pièce, et nous raconte ce qu’il y trouve. Il parle des souvenirs noirs, essaie des déchiffrer les silences de cette mémoire minière en balayant les clichés. Finalement, c’est lui qui réveille l’âme des trois personnages enfermés dans la cage. Il nous donne l’impression qu’ils ne pourront jamais en sortir, comme si les mines gardaient prisonniers à jamais chacun de leurs travailleurs.
Cette pièce permet à certains de se souvenir d’une époque et à d’autres de la découvrir. Elle aborde la migration du XX e siècle, lorsque nous sommes allés chercher deux cent mille « gueules noires » ailleurs pour faire le travail ingrat que nous ne voulions plus accomplir pour si peu. Aboutiers, haveurs, abatteurs, porions, lampistes… tous venaient d’Italie, d’Afrique du Nord ou des pays de l’Est. Et au-delà de la mise en scène, ce spectacle fait aussi réfléchir à cette nouvelle vision de la migration qui nous est imposée par l’actualité. En cent ans, la tendance s’est inversée. Tous ces gens qui débarquent d’un autre pays en mauvaise situation économique et/ou politique auront-ils une place dans notre pays ?
Une dernière fois, je sursaute en entendant claquer ces portes en métal qui se referment. Les lumières s’éteignent et je sors de mes pensées lointaines. Moi, trop jeune pour réellement comprendre et imaginer ce qui s’est passé dans le Borinage. J’en sors touchée avec le sentiment d’être recouverte de cette poussière qui faisait partie de leur quotidien.