Flatbush Zombies
Les Flatbush Zombies proposent (enfin) leur premier album et nous embarquent dans un trip aussi enfumé qu’efficace. Lecteur de Karoo, faites du bruit pour Meechy, Juice et Erick.
«
3001 is the future. Laced is the drugs. And the odyssey is the adventure.» C’est avec cette explication aussi concise qu’énigmatique, et non sans un brin de paresse assumée, que Zombie Juice explique, sur son site de promo, le choix du titre du premier album des Flatbush Zombies. Premier album, certes, mais certainement pas premier projet, tant cet opus était attendu comme une confirmation pour le groupe actif dans le
rap gamedepuis 2012. Car en effet, à l’exception de leur collaboration avec les Underachievers sous le nom Clockwork Indigo, il faut bien avouer que l’on n’a pas eu grand-chose à se mettre sous la dent ces trois dernières années. C’était donc quitte ou double. Mais il apparaît aujourd’hui comme une évidence que, du côté de Flatbush Ave, on a voulu faire les choses dans les règles pour marquer les esprits.
Dès les premières secondes d’écoute, le ton est donné : « In a world full of haters stands a single group who clearly separates themselves from the rest. » Et c’est clairement de cela qu’il est question dans le premier tiers de l’album qui s’apparente à un manifeste sans concessions. Dans The Odyssey, le trio rappelle ses principales influences dans un exercice de name dropping : Tupac, Biggie, entre autres, et bien entendu Stanley Kubrick, même si on l’avait déjà deviné. Certains diront que Bounce , dont le clip très réussi fut dévoilé le mois dernier, n’a pas l’étoffe d’un lead single . Il est vrai que, dans ce rôle, le trio nous avait habitués à des bangers plus colorés. Toujours est-il que cette deuxième piste est un très bon morceau dont on apprend à apprécier l’évolution au fil des écoutes. R.I.P.C.D. est une nouvelle occasion pour le groupe de vanter son authenticité en regrettant la disparition progressive du support matériel, le tout sur un son qui transpire la tradition new-yorkaise et n’est pas sans rappeler la posture adoptée par leurs collègues de Pro Era.
Sur les plans de la production et du contenu, A Spike Lee Joint fait office de morceau de transition entre cette première partie où l’on sort les biceps tatoués Beast Coast et un second palier où la tension retombe d’un cran. S’il est toujours question de se démarquer du reste du game en vantant l’intégrité de la production indépendante, Erick the Architect nous plonge dans un univers sonore beaucoup plus aérien et chill , caractéristiques qui marquent la deuxième partie de cet album. En effet, à l’exception du trop cacophonique Ascension , l’ambiance est plutôt aux pétards et à l’introspection. Dans Fly Away , Meechy Darko nous prend d’ailleurs à contrepied en sortant complètement de son registre habituel pour nous offrir une performance chantée dans laquelle il livre ses angoisses existentielles. Un exercice périlleux sur lequel on aurait directement pu coller l’étiquette « à oublier » mais qui fonctionne étonnement bien.
Après un Smoke Again au titre suffisamment explicite, l’Odyssée nous mène enfin à une dernière partie teintée de cymbales dans laquelle les trois comparses font étalage des conséquences, tant positives que négatives, qu’implique l’accès à la notoriété dans le monde de la musique. Au milieu des Trade-Off , New Phone Who Dis ? et This Is It, le violon et le piano du superbe Good Grief représentent une des véritables belles surprises de cet opus. Avec My Favourite Song , l’album se conclut comme il a débuté : sur un morceau marquant et une bonne grosse dose d’ egotrip . Après une nouvelle performance sur une excellente instru, Meechy, Juice et Erick nous quittent en se faisant mousser avec une longue série de messages téléphoniques élogieux laissés par des fans.
Si la rhétorique adoptée, sur fond de consommation de drogues, ne diffère pas significativement de ce que la triplette nous a proposé précédemment, on constate cependant que la production d’Erick Eliott est arrivée à maturité. La diversité des ambiances qu’elle génère constitue, avec la construction logique et intelligente de l’album, la grande force de 3001 : A Laced Odyssey . Ayant déjà signé des beats très efficaces sur leurs différentes mixtapes, The Architect justifie pleinement son surnom. Parfois éclipsé dans l’imaginaire collectif par la voix rocailleuse de Meechy Darko et le look george-clinton-esque de Zombie Juice, il s’impose pourtant comme la valeur sûre du groupe. D’autant plus que les couplets qu’il pose se révèlent toujours solides, tant en termes de flow que de lyrics .
Mais ne nous y trompons pas, le succès des Zombies est bel et bien collectif. Meechy prend ici une tout autre dimension en nous livrant des textes aux accents mystiques qui explorent en profondeur son ego et ses angoisses. Quant à Juice, il faut bien admettre qu’il souffle le chaud et le froid avec un flow qui pose parfois question. Toujours est-il que la mascotte du groupe livre quelques performances convaincantes, notamment sur les deux singles Bounce et This Is It .
Même si le désir obsessionnel de se construire coûte que coûte une légitimité transpire un peu maladroitement tout au long de l’album, on a envie de leur donner raison. Parce que oui, les Flatbush Zombies font définitivement partie des groupes réellement originaux dans le paysage hip-hop actuel et participent à leur manière, avec leur groupe frère des Underachievers, à la redéfinition de l’identité sonore de la Grosse Pomme.
On aura en tout cas beaucoup de plaisir à les retrouver en Belgique cet été, puisque les Flatbush Zombies figurent au programme du Pukkelpop. Le rendez-vous est donc pris le jeudi 18 août prochain et sera à ne manquer sous aucun prétexte si, vous aussi, vous avez aimé cet album. Dans le cas contraire, gardez à l’esprit le précieux conseil dont Meechy Darko nous avait gratifiés sur scène aux Ardentes 2015 : « Please look at us, raise your middle finger in the air and say Fuck you! If you don’t do so, I would take it personnally. »