Flavien Berger
Designer sonore hypercréatif, auteur de deux EP et de l’album Leviathan , sorti le 20 avril 2015 sur le label Pan European Recording, Flavien Berger se revendique de Kraftwerk, Isaac Asimov et Mœbius. À l’écoute, on veut bien le croire…
La première fois que j’ai goûté, d’une oreille distraite, un morceau de Flavien Berger, j’ai ricané. Il est un monstre incongru, résultat d’un accouplement entre des textes insolites et des boucles électroniques doucement désuètes, caricatures du genre new wave . Et malgré tout, j’y reviens. Car quelque chose m’avait plu dans cet agencement étrange. Sans doute cet inconnu, que je savoure dorénavant en dépit de ma première impression. En concert, on est touché par cet artiste décalé, seul en scène, investi, qui commente chaque morceau en anglais comme une vache espagnole. Parce que Flavien Berger, c’est ça : un homme qui n’a pas peur de s’assumer, assumer ses passions électroniques, ses chansons hypnotiques, ses textes qui confinent au dadaïsme.
Après deux EP ( Glitter Gaze et Mars balnéaire ) qui l’avaient déjà élevé au rang de ponte de la liberté, il produit un album loin des codes de la pop et de la musique électronique. Il veut à tout prix questionner les classements et les formats. Léviathan est expérimental et part à la recherche de sonorités, sous la tutelle d’un monstre mythologique. Il est l’inconnu qui nous effraie mais dont le magnétisme nous attire. Quelle que soit l’ampleur colossale du projet théologico-musical de Flavien Berger, on est emporté dans des compositions au potentiel hallucinatoire incroyable. C’est le règne de la liberté qui conserve un parfum de blague potache, une Fête noire dans laquelle on plonge sans savoir quand on émergera. Les boucles s’enchaînent, les morceaux défilent sans qu’on en ait compris le déroulement. Planer jusqu’à dix minutes par chanson est devenu banal pour les auditeurs. On lévite entre les planètes du système solaire, bercé par des paroles ineptes.
À chaque morceau son Big Bang. Léviathan est un ensemble d’univers qui se déplient avec fulgurance sous nos yeux. On se laisse embarquer par l’explosion des sonorités, par l’éternelle naissance des mots, et par le magma chaotique qui nous entraîne à sa suite, fascinés et déroutés. On abandonne la gravité – homonyme du plus bel ouvrage de l’album – et l’on s’élève. On sort de son propre corps. Au fil des minutes, on s’adapte, notre rythme cardiaque ralentit, se cale sur les beats , on est transporté.
À chaque écoute, on ne peut s’empêcher de garder à l’esprit le sourire doucement ironique de l’artiste, comme lorsqu’il annonce que ce qui l’a inspiré pour 88888888, c’est sa Playstation. Une ironie qui lui permet de rester sur le fil du rasoir sans tomber dans la parodie grotesque du musicien pop des années 1980. On entend évidemment Daho dans le phrasé ou le timbre de la voix, mais c’est pour mieux réinventer la musique électronique actuelle. La naïveté des paroles est cultivée autant que l’aspect diy de la musique. Il y est autant question de fête foraine ( la Fête noire ) que du quotidien ( Vendredi , Rue de la Victoire ).
L’expérience de Léviathan ne s’apprécie réellement qu’en audiovisuel. C’est en dégustant ses clips déments qu’on comprend la dimension synesthétique du travail de Flavien Berger. Avant tout inspiré du krautrock, pour sa dimension hypnotique et itérative, l’univers visuel de l’artiste se décrit aussi en fonction d’un nouveau mode de consommation musicale : l’écoute en transport. Le musicien voulait reproduire le défilement du paysage à travers des clips hallucinés. Le son et l’image se marient pour permettre à l’auditeur de se détacher de terre le temps d’un morceau. Cela rappelle le tunnel ultra-coloré dans lequel est aspiré le héros de 2001, l’Odyssée de l’espace . Quel plus beau sous-texte pour le musicien fan de science-fiction ? Il n’y a plus les références aux Chroniques martiennes de Mars balnéaire mais l’ambiance reste au voyage interplanétaire.
Flavien Berger est un musicien nageant entre design sonore, science-fiction, autodérision et musique électronique. Léviathan est un premier album monstrueux de création. Il est une balade en état de transe, un refus du commun et du déjà-vu. Il est l’équilibre ténu en héritage et reproduction des 80’s.