Franklin, Aznavour
En l’espace de trois mois, deux monuments de la musique se sont effondrés. Aretha Franklin nous a quitté le 16 août, Charles Aznavour l’a rejoint le 1 er octobre. Par ailleurs, le hip-hop a célébré ses quarante-cinq ans à la fin de l’été. Le rapport ne saute pas aux yeux, pourtant ce style omnivore s’est abondamment nourri des œuvres des deux légendes...
Le hip-hop, comme chaque courant musical, possède ses techniques de composition et ses classiques. Le MC écrit les lyrics , ou du moins les interprète, et le beatmaker échantillonne (sample) des extraits audios, les retravaille, assaisonne (filtres, effets) afin de donner vie à une composition originale, appelée beat. Le genre possède donc une capacité d’absorption sans fin, comme son ancêtre le jazz.
Mos Def - Ms. Fat Booty [prod : Ayatollah] / A. Franklin - One Step Ahead
Ce titre est sorti sous le label Columbia, en 1965. Trente-quatre ans plus tard, le producteur Ayatollah réalise une prouesse technique en extrayant trois samples afin de réaliser une instrumentale pleine d’émotions. Celui-ci est formel sur le choix de son matériau musical : « Le morceau doit véhiculer quelque chose de fort avant même que je ne le sample. » À cette époque, Mos Def a l’avantage d’être sous contrat chez Rawkus, qui appartient à Columbia, ce qui facilite la question posée par les droits d’auteur.
Gramatik - In This Whole World / A. Franklin - Young, Gifted & Black
Le titre de l’album homonyme Young, Gifted & Black (1972, Atlantic) est inspiré du morceau de Nina Simone, To Be Young, Gifted & Black (littéralement « Être jeune, doué et noir »). Il s'inscrit dans un univers lié aux révolutions afro-américaines entamées quelques années auparavant : James Brown chante en 1969 Say It Loud, I’m Black and I’m Proud et Isaac Hayes sort Black Moses en 1971, la même année que le très engagé What’s Going On de Marvin Gaye. Les trois premiers Street Bangerz de Gramatik sont des compilations de remix de classiques funk & soul des années 1960-1970, auxquels il incorpore basses et batteries claquantes ainsi que des effets électro. On y trouve des échantillons de Marvin Gaye, Roy Orbison, The Whole Darn Family, O.V. Wright... et un beat autour de la phrase « In this whole world, you know », emprunté à la reprise d’Aretha Franklin.
9th Wonder - OkayWaySOul!!!! / A. Franklin - Mister Spain
Ce beatmaker a participé à la production de l’emblématique Black Album de Jay-Z (2003, Roc-A- Fella Records) et totalise un grand nombre de collaborations avec De La Soul, Destiny’s Child, Buckshot, M.O.P. ou encore Erykah Badu. Ses beats sont parfois caractérisés par un groove bancal, qui donne l’impression d’avoir été maladroitement enregistré ou encore, comme dans celui-ci, un pitch ajusté avec un ressenti personnel. Le registre déroge aux standards des maisons de disques mais la performance est bien là.
Dr. Dre feat. Eminem & Xzibit - What’s The Difference / C. Aznavour - Parce que tu crois
Ce sample est l’un des plus connus de Dr. Dre (et son complice Mel-Man). Il est paru en 1999 sur l’album 2001 (calembour musical ?), aux côtés des mythiques Forgot about Dre , Still Dre , The Next Episode (« Smoke weed everyday ») et The Message qui scelle un des plus gros succès, tous styles confondus, du début du millénaire. Le producteur a extrait et dépitché les deux premières mesures afin d’obtenir un beat lourd et obsédant. Ce n’est pas l’unique sample hexagonal de Dre : il réitère la performance en 2009 en samplant une intro de Mike Brant ( Mais dans la lumière ) pour le beat de Crack a Bottle , sur l’album Relapse d’Eminem.
Common - Stolen Moments, Pt. 1 [prod : No I.D] / C. Aznavour - Happy Anniversary
Membre du collectif Soulquarians (cf: Zoom sur Roy Hargrove), Common a toujours été entouré des meilleurs producteurs : Questlove, J Dilla, No I.D... Ce dernier a produit la quasi-totalité de l’album One Day It'll All Make Sense (1997, Relativity) — dont est issu le titre — et a collaboré avec Jay-Z, Kanye West, en plus d’un important poste au sein du label Def Jam.
Roger Molls - Hipology / C. Aznavour - Comme l’eau, le feu, le vent
La France n’est pas en reste lorsqu’il s’agit de façonner des beats créatifs et incontournables. Après la génération Saian Supa Crew, IAM, Supreme NTM, Hocus Pocus et le trip-hop de Chinese Man, Roger Molls nous invite à des années-lumière de ce que proposent les médias de masse. Bien ancré dans la tradition, le beatmaker sample avec goût et superpose batteries puissantes et basses profondes (je vous ai déjà parlé de Gramatik ?). Ceux qui pensent que l’herbe est plus verte chez l’oncle Sam se raviseront en tendant l’oreille du côté de chez Roger Molls...