Dans son dernier film Generation Wealth , la photographe américaine Lauren Greenfield revient sur sa carrière et nous offre le portrait d’une société américaine corrompue par l’excès et la soif insatiable de richesses matérielles.
Lauren Greenfield est une photographe et réalisatrice américaine qui a passé l’essentiel de sa carrière à documenter les excès de notre société capitaliste. Pendant plus de vingt-cinq ans, elle a parcouru les États-Unis et le monde, photographiant les dérives de l’ultra-consumérisme, de la soif insatiable de richesses matérielles, du luxe, de la quête du statut social, de la jeunesse éternelle et des coûts individuels d’un système avide et aliénant. Generation Wealth constitue ainsi une sorte de monographie de l’excès, qui tente de lier tous les thèmes abordés par Greenfield au cours de sa carrière, des troubles alimentaires aux escroqueries financières en passant par la chirurgie esthétique, les concours de beauté pour enfants et la pornographie.
La réalisatrice s’interroge sur le portrait global qui se dessine lorsqu’elle prend du recul sur son œuvre. Elle nous livre ainsi le portrait absurde d’une société corrompue par l’avidité et l’hubris d’individus devenus marionnettes grotesques d’un système qui les dépasse. Entre tragique et comique, fascination et répulsion, nous suivons Greenfield dans son exploration sociographique des symptômes qui laissent entrevoir, selon elle, l’effondrement prochain de notre civilisation. Le journaliste américain Chris Hedges, interrogé dans le film, fait l’analogie entre notre situation actuelle et la chute de l’Empire romain ou le déclin de l’Égypte antique, en expliquant que les sociétés accumulent leurs plus grandes richesses matérielles au moment où elles sont au bord du précipice.
Malheureusement, l’analyse proposée manque cruellement de profondeur et le film finit par tomber dans le piège narcissique qu’il dénonce. En effet, le rapprochement qu’opère la réalisatrice entre certaines réalités, a priori très différentes, paraît parfois artificiel. Nous nous retrouvons alors à passer d’une jeune femme souffrant de troubles alimentaires à un homme d’affaires frauduleux, le tout sur fond de discours de fin du monde sans véritable consistance. Greenfield ne cesse d’alterner entre micro et macro, entre individu et système, dans une théorie selon laquelle les personnages qu’elle présente sont les enfants dégénérés d’un rêve américain corrompu, ou l’inverse, on ne sait plus trop. Le résultat est parfois troublant et il est permis de douter, par exemple, que l’abolition du capitalisme irait de pair avec la disparition de l’anorexie.
Le film est très ambitieux et même si la démarche est claire, il manque parfois d’une trame narrative cohérente et devient confus. À force de vouloir couvrir trop de problématiques à la fois, il finit par les survoler sans jamais les approfondir véritablement. Le propos devient alors vague et générique, se résumant presque à « l’argent ne fait pas le bonheur ». Le discours perd également en crédibilité par manque de sources, de documentation ou de réelles bases académiques. Aucune véritable recherche approfondie ne vient étayer la thèse de la réalisatrice, qui donne l’impression de livrer simplement son ressenti sur l’état de la société américaine. Ce qui ne serait pas problématique si elle n’adoptait pas un ton assertif, nous présentant ses impressions comme des analyses de société qui manquent pourtant clairement de fondement. Elle tente, par exemple, d’expliquer le krach de 2008 ou l’élection de Donald Trump par l’avènement de cette Generation Wealth , ce qui est loin d’être absurde ou inintéressant. Pourtant, les raccourcis simplistes gangrènent l’analyse et nous laissent sur notre faim. En effet, « on veut des choses qu’on ne peut pas s’offrir » paraît être une analyse relativement légère pour expliquer une crise bancaire et financière mondiale. De la même façon, en quoi est-ce lié à une escort girl qui nous raconte sa tentative de suicide ?
Greenfield revient également sur sa propre vie en faisant l’analogie entre sa tendance à être dans l’excès lorsqu’il s’agit de son travail et les dérives présentées dans la première partie du film. Elle rapproche ainsi l’avidité, l’insatisfaction permanente et la quête d’accumulation constante des individus dont elle fait le portrait avec sa propre quête professionnelle qui l’a éloignée de sa famille. Même si, encore une fois, on comprend la démarche, la différence d’échelle et de mesure entre sa propre situation et celles de ses sujets est criante. En termes d’excès et de démesure, le comportement de la photographe ne semble absolument pas comparable à celui de toute la galerie d’individus qui nous a été présentée. Le film prend alors un tournant centré sur la réalisatrice elle-même et son introspection. S’il avait le mérite d’être franchement divertissant jusqu’ici, le film perd alors son intérêt. On voit Greenfield interroger ses parents sur son enfance, ses enfants sur la leur, son mari sur leur relation. Le lien avec la thématique générale du documentaire devient de moins en moins évident et le film se termine par une mise en abyme où l’on voit la réalisatrice découvrir son propre livre et préparer son exposition !
Enfin, après une accumulation d’images qui laissent le spectateur entre étourdissement et écœurement, le film conclut en préconisant implicitement un retour à la famille et à la nature. Ce qui semble, encore une fois, être une solution un peu faible face aux maux exposés précédemment. Notre société ultra-matérialiste court inexorablement à sa perte ? Il ne nous reste plus qu’à jouer au ballon dans notre jardin avec nos enfants.
Finalement, bien qu’intéressant et divertissant, Generation Wealth ne semble pas particulièrement instructif ou édifiant, à moins que « l’amour est plus important que l’argent » soit pour vous une épiphanie totale qui mérite un long métrage. Pourtant, le travail photographique de Lauren Greenfield est absolument admirable et véritablement frappant. Nous avons l’occasion de le découvrir tout au long du film qui reprend largement les œuvres de la réalisatrice. L’exposition photographique qui fait partie du projet global de Generation Wealth promet d’être magistrale, ce qui pose alors la question de la réelle nécessité du film qui nous laisse, malheureusement, sur une vraie frustration.