Godspeed You! Black Emperor
Ce 31 mars sort dans les bacs la dernière galette du groupe montréalais Godspeed You! Black Emperor, Asunder, Sweet and Other Distress , trois ans après les premières interprétations live de Behemot , brouillon de l’opus.
Asunder, Sweet and Other Distress détonne à plusieurs égards par rapport à la trajectoire empruntée par Godspeed You! Black Emperor (GY!BE). D’abord, il tient sur un seul vinyle, ce qui n’était plus arrivé depuis f♯ A♯ ∞ sorti en 1997. Voilà dix-huit ans que Godspeed n’avait pas sorti un album aussi court, nous habituant à devoir changer la galette sur le tourne-disque pour que se succèdent les pistes.
Le groupe a d’ailleurs utilisé les possibilités de ce format non standard : pour Allelujah! Don’t Bend! Ascend! – l’album précédant Asunder , sorti en 2012 –, les deux plus longues pistes avaient été enregistrées sur chaque face d’un disque A de 30 cm (33 tours), les deux plus courtes sur chaque face d’un disque B de 17,5 cm (45 tours). La pochette précisait un ordre de lecture particulier : A1, B1, A2, B2, obligeant à changer de disque après chaque face au lieu de simplement le retourner. Un tel procédé implique un rapport physique à l’écoute pour l’auditeur , invité à contribuer à l’élaboration du tracklisting grâce au support vinyle. Étrangement, le CD ne suivait pas l’ordre indiqué sur la pochette du vinyle, privilégiant une succession n’héritant pas du changement intermittent des disques : A1, A2, B1, B2, comme si sans l’investissement physique pour changer de disque, l’ordre n’avait plus vraiment d’importance. Avec le format de Asunder , on s’éloigne de ces conceptions pour revenir à un déroulé plus classique : un disque, quatre pistes qui se succèdent, un seul changement de face de lecture.
Ensuite, Asunder est le premier album de GY!BE à être dépourvu d’enregistrements de la ville ou de la nature aussi bien que de paroles , de monologues ou de dialogues. Sur les cinq pistes de f♯ A♯ ∞ , quatre débutaient sur des déclamations ; Mladic de Allelujah! se clôturait sur le concert de casseroles du Printemps érable. Cette affirmation n’est pas tout à fait exacte : on peut discerner un « five », trace du décompte à l’enregistrement, à la première seconde de l’album.
Du haut de ses « seulement » 40 minutes et quelques secondes, Asunder déballe néanmoins tout ce qui fait la richesse de Godspeed : on y retrouve des harmoniques qui oscillent à n’en plus finir, des guitares qui bataillent avec un contrepoint de cordes, des crescendos inexorables dont on attend l’éclatement pendant de longues minutes, d’énormes bourdons qui traversent les pistes, comme sur les dernières minutes de Lambs’ Breath jusqu’au début d’ Asunder, Sweet .
La suite des mouvements donne un sens aux morceaux drone entre ceux post-rock. Ces pistes les moins tonitruantes de l’album permettent de trancher entre les deux morceaux qui l’enserrent, Peasantry or Light! Inside of Light! au début et Piss Crowns Are Trebled à la fin. La lenteur et la répétition du drone rendent possible la montée en puissance à partir d’un bourdonnement de guitares , jusqu’à l’éclatement à cinq minutes de la fin, quand l’ensemble déchaîné des instruments accélère progressivement, par accumulation progressive d’une force interne à la répétition du thème.
Asunder est une pièce à écouter d’une traite, mise au net réussie du brouillon Behemot que le groupe jouait déjà en concert depuis 2012 : une introduction lente et martiale, deux déploiements drone faisant monter la tension, un final wagnérien qui arrive après une montée en puissance progressive de quarante-cinq minutes. La « simplicité » du rapport au format du disque cache la richesse d’une pièce unique en quatre mouvements : l’album Asunder, Sweet and Other Distress n’est qu’un seul morceau autrefois appelé Behemot .