critique &
création culturelle

Huis clos au commissariat

Jamais Jamais met en scène deux policières que tout oppose. Une permanence de week-end au commissariat leur offre l’occasion de régler quelques comptes. Entre elles, mais surtout avec elles-mêmes.

Coincées ensemble durant un week-end de permanence dans un commissariat où elles sont loin de crouler sous le travail, deux lieutenants de police que tout semble opposer se cherchent, se trouvent puis se découvrent l’une à l’autre et à elles-mêmes.

Françoise Ruiz ( Julie-Anne Roth ) est une quadragénaire divorcée, mère démissionnaire, policière peu zélée et reine de la nuit sur le retour. Bref, elle mène sans panache une existence décousue. Consciente du chaos qu’est devenue sa vie, elle l’assume et c’est ce je-m’en-foutisme qui fait sa force et lui donne son charme. Totalement indifférente aux conséquences de ses propos, Françoise semble avoir zappé l’étape de la socialisation qui instaure un filtre minimum entre les pensées et la parole. Cette honnêteté désarçonnante accompagnée d’une dégaine négligée n’est pas du gout de sa collègue Clémentine Arpinion incarnée par Maud Wyler .

Clémentine est une jeune femme discrète aux allures de cheftaine scoute. Sa vie comme son bureau sont bien rangés et on lui imagine un futur tout tracé avec un mari aimant. Mais derrière cette apparence lisse se cachent des frustrations insoupçonnées prêtes à faire surface avec violence.

En patrouille pour tapage nocturne, le binôme improbable accède à des égarements inattendus qui seront révélateurs d’aspirations inavouables. Les rôles types se dissolvent dans l’euphorie de la nuit et les identités bien nettes se brouillent dans les brumes de la fête.

En vingt-neuf minutes et avec humour, Erwan Leduc nous rappelle que nous jugeons souvent les autres et leurs actions de manière hâtive et trompeuse. Un équilibre ostensible peut être la façade d’un capharnaüm interne tandis que des fêlures apparentes peuvent masquer une personnalité solide. Les catégorisations dans lesquelles nous nous enfermons sont aussi dénoncées : nous endossons des rôles qui nous étouffent et finissent par nous ronger. Pour faire face à nos contradictions, le soutien se trouve parfois là où l’on répugne à le chercher car les gens qui peuvent le mieux nous comprendre ne sont pas toujours ceux qui nous aime.

Fort heureusement, Jamais Jamais évite de tomber dans la lourdeur qui semble pourtant intrinsèquement liée aux réflexions qu’il suscite. Erwan Leduc a eu l’intelligence de ponctuer son film d’interludes comico-absurdes assurés en grande partie par Eddie Chignara dans le rôle d’un officier de police pathétique et touchant. Ce court métrage rythmé et enjoué mené par deux actrices convaincantes est relativement inclassable ou pour le redire avec la simplicité de Maud Wyler lors de présentation du film : « Ne me demandez pas quel genre c’est, il y en a plein dedans, c’est bizarre ! »

https://www.youtube.com/watch?v=KYTqkjej66k

Même rédacteur·ice :

Jamais Jamais

Réalisé par Erwan Le Duc
Avec Julie-Anne Roth, Maud Wyler, Eddie Chignara
France , 2014, 29 minutes