Introducing Edward Gorey
Durant quatre semaines, Karoo vous invite à plonger dans l’œuvre d’Edward Gorey (1925-2000). L’univers très particulier de cet auteur-illustrateur américain, pétri d’humour noir subtil et de références multiples, a inspiré des créateurs comme Tim Burton et Chris Ware.
Enfant précoce, Edward Gorey aurait appris à lire seul alors qu’il n’avait même pas quatre ans. C’était le début d’une passion dévorante pour les livres. Il choisit de suivre des cours de littérature française à Harvard et s’investit dans le Poet Theater, notamment en dessinant des affiches. Il passera plusieurs années chez l’éditeur Doubleday où il réalisera un grand nombre de couvertures de la collection Anchor Books, une belle version des classiques en format poche, passant de la Guerre des mondes à l’Enéide .
En 1953, il publie son premier ouvrage, The Unstrung Harp ( la Harpe hagarde ), qui raconte les difficultés qu’éprouve un auteur reconnu à écrire son nouveau roman. Même si le style des personnages a un peu évolué par la suite, on y retrouve déjà tout ce qui fait la marque de fabrique de Gorey . En 1961, tandis qu’il est remercié après avoir occupé durant un an la fonction de directeur artistique chez The Looking Glass Library, Gorey a trop de travail en freelance pour trouver un nouvel emploi et il continue alors ainsi en se partageant entre collaborations et œuvres personnelles. Passionné de danse et de théâtre , il s’est également aventuré dans le domaine de la comédie musicale en dessinant les costumes et les décors pour une production de Dracula en 1978, ce qui lui vaudra un Tony Award.
Gorey, c’est avant tout un style immédiatement reconnaissable par sa minutie et une ambiance crypto-edwardienne qui se fait le théâtre d’événements comico-tragiques. Mais si son travail graphique accroche le regard, il se considérait avant tout comme un écrivain et qualifiait de « roman » un grand nombre de ses petits livres qu’il classait lui-même plutôt en littérature enfantine . Ce positionnement peut paraître étrange tant le dessin prend une place importance et que le texte, très succinct, semble venir les commenter. En réalité, il ne se mettait à dessiner que lorsqu’il avait terminé son texte. De plus, le rapport entre l’image et le texte est l’une des forces de son œuvre, même s’il s’apparente parfois à un dialogue de sourds pour le lecteur. C’est que Gorey avait horreur des livres où tout est révélé. Sa théorie sur l’art est la suivante : pour être intéressante, une œuvre doit donner l’impression d’aborder tel sujet alors qu’en réalité elle parle de tout autre chose . Il avait dès lors une certaine répugnance à expliquer ses livres et s’étonnait parfois des interprétations dont lui faisaient part ses lecteurs.
Personnage atypique, Gorey était un homme d’une grande érudition qui se passionnait pour des choses très diverses : la littérature japonaise classique mais aussi la littérature enfantine et les romans d’Agatha Christie, le papier peint et les costumes, le surréalisme et le cinéma muet, la danse et le théâtre de marionnettes, entre autres.
Toutes ces influences viennent peupler ses textes et ses dessins, parfois de manière anarchique. On se retrouve alors avec de jolis petits objets-livres dans lesquels les références obscures et les hors-champs sont omniprésents , notamment quand le texte décrit des atrocités, c’est-à-dire la plupart du temps.
En effet, la mort est l’un des thèmes récurrents chez Gorey. Aucun personnage n’est à l’abri, en particulier les enfants qui en sont souvent pour leurs frais. Mais si tout le monde peut devenir une victime sous sa plume, les figures et symboles qu’il utilise sont ambivalents et on retrouve aussi des enfants assassins dans ses livres. C’est notamment le cas dans The Beastly Baby ( le Bébé bestial ), où un affreux nourrisson martyrise des petits chats. Ses parents tentent de s’en débarrasser par tous les moyens, notamment en laissant des objets dangereux traîner à sa portée.
C’est d’ailleurs la difficulté qu’il a eue à faire publier ce livre qui encouragea Gorey à monter sa propre petite maison d’édition, Fantod Press, où il publiera vingt-huit de ses ouvrages. De manière générale, les originaux d’Edward Gorey sont aujourd’hui difficiles à trouver . Heureusement, beaucoup ont été republiés et la plus grande partie de ses œuvres ont été rassemblées dans quatre recueils de format A41 : un signe que les amateurs se multiplient . Ils ne sont d’ailleurs pas qu’anglophones car Gorey a été traduit dans plusieurs langues. Un certain nombre de ses œuvres avaient déjà été traduites en français par les éditions Le Promeneur dans les années 1990. Plus récemment, Attila puis Le Tripode ont publié des traductions de ses œuvres les plus connues. Je vous conseille, entre autres, l’Invité douteux ( The Doubtful Guest ), où une créature ressemblant à un pingouin chaussé de converses s’incruste dans une famille edwardienne et lui rend la vie impossible.
Edward Gorey est le genre d’auteur qu’on relit. D’une part à cause de ses planches mais aussi parce qu’on sait qu’on a raté quelque chose, qu’un détail nous a échappé, et qu’ on a, encore une fois, envie de reconstituer d’incroyables scénarios en sa compagnie .
En lisant l’un de ses livres, on a envie de creuser les pistes qu’il donne et d’approfondir nos connaissances dans des domaines variés. C’est un auteur qui nourrit , si l’on accepte l’idée qu’on ne déchiffrera jamais totalement son œuvre où abondent les ellipses insondables et les fins abruptes.
Après s’être longtemps partagé entre New York et Cape Cod, Gorey finira par délaisser la ville pour cette belle contrée maritime. Il s’installe finalement seul dans une maison de Yarmouth Port au début des années 1980. Celle-ci est maintenant un musée consacré à son ancien habitant et une nouvelle exposition est présentée au public chaque année. Alors si vous allez sur la côte Est des États-Unis avant le 27 décembre 2015, pensez à aller voir l’exposition sur les couvertures que Gorey a réalisées !