Les éditions Buchet Chastel publient K.O. , un livre contemporain, un texte court, vif qui mélange les genres. Après Gaël Faye ( Petit Pays ), David Lopez ( Fief ), voici Hector Mathis, slameur, qui se lance dans l’écriture romanesque. Et si autant de rappeurs s’adonnent à l’exercice, c’est pour une bonne raison : la mayonnaise prend. Le rythme et la musique ajoute de la poésie à ce récit post-attentat.
Au début, on s’essouffle. Les premières pages sont violentes. Des phrases courtes, des images imposées et une langue de la rue. Au fil des chapitres, on s’y accommode. Le rythme nous rentre dans la peau et on en redemande. La logorrhée d’Archibald résonne dans la tête et rappelle En attendant Godot :
Euch ! Euch ! Je l’ai acceptée moi, leur bicoque. Oh que non ! On rend service et voilà ce qu’on récolte, nom d’un chien ! Foutus salauds de rentiers ! Bourgeois crapauds dégueulasses ! Fuuuumiers !
On entre dans une histoire où le narrateur, perdu, se retranche dans un château avec un besoin vital de s’isoler, pour lire :
Affamé que je suis. L’air du château me donne envie d’avaler les pages. Me goinfrer jusqu’ la nausée.
Sitam (verlan de Mathis, coïncidence ?) est un jeune homme en pleine fuite. Fuir le monde, fuir les grandes villes, se retrancher loin de l’agitation parisienne. Il croise sur sa route des personnages brisés, comme Ben son ami d’enfance ou la mère Flauchat. Des personnages d’une grande violence. C’est l’histoire d’une errance. Sitam est spectateur des évènements, comme les attentats du 13 novembre qu’il décrit avec une froideur et une distance pourtant juste :
Les sirènes du poste et celles que nous entendions par la fenêtre ont soudain retenti à l’unisson (…) Le compteur de cadavres s’affolait de plus en plus. Les chiffres grimpaient sur l’écran.
L’histoire d’une jeunesse désabusée. Sitam et sa copine « la môme Capu » parcourent une Europe agonisante. Ils veulent fuir mais la misère les rattrape. Les coups du sort, le destin, ils se résignent à les subir. Ils se traînent sur le sol sans jamais capituler. L’époque des grands rêves est terminée, l’ambition de Sitam ? Avoir assez de fric pour être tranquille. Il bosse alors dans la brasserie de la mère Flauchat, puis dans une imprimerie. Avant de tomber malade. Une lutte qui sonne comme une lente agonie.
Grâce au rap, son rapport à la langue, à la musique prend une troisième dimension. Le rythme, les sonorités sont au service des mots. On imagine bien certaines phrases slamées par l’auteur :
Du mot qui s’étale partout, qui grignote le pavés, les couvertures. Du mot qui coule, qui gueule, qui jouit jusqu’à la douleur.
C’est un monde qui flirte avec l’imaginaire, direction Paris, Amsterdam mais également « la grisâtre », village natal de Sitam. Des paysages ternes, dénués de vie, de sens. Le brouillard, la nuit, les couleurs se fanent.
La musique vient aussi du jazz qui retentit de la première à la dernière page. Archibald est un saxophoniste ruiné, un poète à la beauté répugnante :
Clochard farfelu et délirant qui bafouille des prophéties devant une gare de la grisâtre (…) Si le lyrisme avait un cavalier servant, ce serait lui.
K.O. d’Hector Mathis est un roman douloureux, l’errance et la souffrance des personnages qui s’enfoncent jusqu’au bout de la nuit. On perçoit la vision du narrateur où l’Europe se fracasse le crâne contre des rêves déchus. Le chômage, le terrorisme, la misère, les yeux de Sitam se transforment en miroir d’une société décadente. Heureusement, il reste la musique.