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Ce jeudi 25 mai à 20h30, le Kunstenfestivaldesarts nous présente Maria Hassabi à La Raffinerie. Durant une heure et quart, la chorégraphe interroge la mise en scène grâce à l’acte spectaculaire, celle qui existe en amont de la représentation et celle perçue par le public.
Le descriptif de Staged ? le dit et il tient parole : le spectateur est accueilli dans une salle dont le sol n’est qu’une lourde moquette rose vif sur laquelle quatre performeurs sont déjà en place dans une posture sculpturale. Ils « posent » sous les projecteurs, la lumière dense braquée sur eux. Directement plongée dans cet instant à la limite du commencement, je n’ai plus qu’à choisir ma place parmi les gradins qui entourent l’espace scénique. Je m’installe, je prends le temps d’observer les rangs qui se remplissent, je nous épie, nous spectateurs qui n’avons aucune directive de mise en scène, nous qui avons le choix. Autour de moi, tout semble avoir été méticuleusement construit. Mes yeux, dirigés par la lumière à la façon dont on dirige un acteur, se posent inévitablement sur les quatre protagonistes au centre de la pièce. Mon regard remplit son rôle : il « observe » attentivement les corps qu’on lui propose d’épier ce soir. Alors une question s’immisce dans mon esprit : serais-je moi aussi mise en scène ?
Les quatre danseurs, orientés chacun vers une portion différente du public, ne semblent pas bouger… Pourtant, c’est dans une lenteur toute contrôlée qu’ils se meuvent depuis l’ouverture des portes. Un par un, ils s’emparent de l’espace pour jouer leur rôle ; on voit un bras gauche qui s’élève, une main qui se pose sur un partenaire, un bassin qui se tourne… Ils forment un tableau bariolé de costumes dépareillés, hauts en couleur. Le résultat me plonge dans une réalité à la fois figée et mouvante où la scène demeure comme perdue entre la photographie et le vivant. Chaque œil présent dans le public a de cette toile animée une perception différente. Ainsi, chaque tremblement que j’ose intercepter est un trésor volé, car celui que je perçois n’est peut-être pas visible de l’autre côté du plateau. Les mouvements sont de plus en plus manifestes, mais pas moins lents. La langueur de chaque déplacement parviendra à figer une heure de spectacle. De cette façon, la vitesse d’exécution agit sur ma perception du temps comme sur mes attentes ou mon excitation. Mon esprit s’engourdit peu à peu, ce n’est pas l’ennui, ce n’est pas la fatigue, c’est le vide. Un vide qui naît d’une hypnose continue créée par le geste et son rythme. Pendant une heure et quart le débit reste le même, il interroge les espoirs et les anticipations de l’ensemble des corps assis dans les gradins : doit-on s’attendre à un changement où se laisser surprendre par le prochain tableau ? Le mouvement, non chorégraphié et non contrôlé mais travaillé au préalable, prend possession du plateau et pose la question de sa propre mise en scène.
Au sein de cette photographie vivante, la lumière dirige le regard de l’assistance au centre de la scène, elle contrôle également son attention grâce à des changements allant subtilement du plein feu aveuglant à l’ambiance tamisée d’une fin de soirée. Au sein de Staged ? , la lumière me manipule, elle fait ce qu’elle veut de moi et de tous ceux qui ont pris place dans la salle. En variant, elle me propose même de rendre mes semblables spectacle à leur tour. Au bout d’une demi-heure de lenteur scénique, m’apparaît l’intérêt pour le bâillement du grand brun du dernier rang, le croisement de jambes de la jeune femme en robe rouge et d’un coup je ne regarde plus un tableau, mais cinq : le plateau et les quatre autres gradins qui nous encerclent.