critique &
création culturelle

La Pampa

D'amour et d'amitié

Antoine Chevrollier signe avec La Pampa, sorti dans les salles françaises début février, un premier long-métrage exceptionnel. D’une rare justesse, les comédiens Sayyid El Alami et Amaury Foucher portent le film avec talent et interprètent brillamment la complexité de personnages adolescents. Autour d’une histoire forte d’amitié se dresse le portrait d’une vie dans une communauté rurale, avec ses bons côtés mais surtout ses peurs et ses faiblesses.

Avec une histoire nichée au cœur d’un petit village français, bourgade natale du réalisateur où tout le monde se connaît, les scénaristes Bérénice Bocquillon et Antoine Chevrollier ne surprennent pas au premier abord. Même s’ils dressent un portrait touchant d’une amitié fusionnelle entre les deux jeunes adolescents que sont Willy et Jojo, liés également par le motocross, très vite, on se doute de la tournure des évènements et on devine une des ficelles principales de l’intrigue. De par le jeu des acteurs, les regards entre les deux adolescents, le fameux secret de Jojo, central dans le récit et élément déclencheur de toute l’histoire, saute aux yeux. Pourtant, on se laisse facilement guider jusqu’à ce qu’un évènement en particulier vienne nous prendre par surprise. Et là se dévoile l’habileté des deux scénaristes : l’histoire nous emmène plus loin que ce dont on a l’habitude. Là où on pensait que le film se terminerait, avec un Jojo démuni face aux réactions suite à la découverte de son homosexualité, ce n’est en réalité que le début et toute la deuxième moitié du récit nous attend. Pour des raisons évidentes de spoilers, nous ne pourrons détailler la suite de cette histoire dans cette critique. Pourtant, il est nécessaire de noter l’innovation et la justesse de cette seconde partie de l'histoire. La qualité d’écriture du scénario est indéniable. C’est bien pensé, bien ficelé et amène un vent de nouveauté dans l’exécution de ce type de drames.

Au-delà du scénario, le casting et le talent des acteurs participent en grande partie à la réussite de La Pampa. Sayyid El Alami et Amaury Foucher, endossant les rôles des deux amis inséparables Willy et Jojo, sont étonnants de véracité. Leurs rôles semblent faire partie d’eux-mêmes. Chaque mot, chaque geste transpire la justesse. Dès la première scène, on ressent une indéniable complicité entre les deux autant qu’on ressent leurs années d’amitié et leur lien si solide : l’amour qu’ils se portent est évident. C’est une très belle histoire d’amitié qui se dessine dans la trame du récit, mettant en scène leur soutien mutuel, leurs secrets et leurs confidences. On s’attache à eux avec une grande rapidité, on aime les voir ensemble, on aime assister à leurs jeux et avoir l’impression d’en faire partie.

De leurs côtés, Artus et Damien Bonnard ne sont pas en reste. Campant respectivement le coach Teddy et David le père de Jojo, ils sont tous deux crédibles et efficaces. Damien Bonnard nous offre la vision d’un père détestable et touchant à la fois, entièrement consacré à la moto et à la réussite de son fils dans ce sport. Sa volonté d’emmener son fils le plus loin possible et la peur de Jojo de décevoir son père viennent teinter et ajouter de la profondeur à la relation, dont on ressent toute la complexité.

Concernant le personnage de Teddy, on pourrait cependant lui reprocher sa construction frôlant parfois la caricature. En effet, face à au dévoilement du secret de Jojo, Teddy entre dans des crises de colère noire dont on ne peut que s’attendre et qui ne semblent pas nécessaires. Si on peut reprocher ce côté cliché, il met toutefois en lumière la manière de réagir de plusieurs générations face à une seule et même révélation. Les réactions de David, Teddy et Willy apparaissent finalement comme trois possibilités pour une même situation, l’une d’entre elles étant évidemment bien plus saine que les deux autres. Et c’est peut-être aussi cela, ce fossé entre générations, qu’Antoine Chevrollier souhaite nous montrer.

Le film se place alors en miroir de nos propres réactions, de nos propres idées et valeurs. Dans ce petit village où se déroule l’intrigue, où tout le monde sait tout sur tout et sur chacun, l’harmonie de la communauté se brise à l’annonce du secret. Certains, rares, acceptent la nouvelle sans se poser plus de questions, là où d’autres se mettent en colère et rejettent de Jojo. Ce fossé entre les différentes attitudes se fait l’écho d’une réalité que vivent certaines personnes encore de nos jours : la violence exacerbée de certaines réactions est réelle. Avec ce lien puissant entre fiction et réalité, l’émotion ne peut que nous serrer la gorge, et ce, même après le générique de fin.

Antoine Chevrollier signe donc ici un premier long-métrage dont la réussite est sans équivoque. Amaury Foucher, dont c’est également le premier film, et Sayyid El Alami sont absolument époustouflants. Le constat est simple : c’est un drame qui saura vous prendre aux tripes.

La Pampa

Réalisation de Antoine Chevrollier
Scénario de Bérénice Bocquillon et Antoine Chevrollier
Avec Sayyid El Alami, Amaury Foucher, Damien Bonnard, Artus
France, 2025
103 minutes

Voir aussi...