La Peuplade
Rencontre avec Mylène Bouchard, écrivain et directrice littéraire de La Peuplade, une jeune maison d’édition québécoise présente cette année à la Foire du Livre de Bruxelles.
Depuis un coin de calme relatif à quelques pas du stand des éditeurs québécois, à l’honneur cette année à la Foire du Livre de Bruxelles, Mylène Bouchard nous parle de La Peuplade. Créée il y a bientôt dix ans, cette petite maison d’édition explore de nouveaux territoires, au propre comme au figuré : elle cherche à diffuser ses romans, récits et recueils de poésie jusque dans les régions reculées du Québec, tout en mariant de façon originale la littérature à d’autres formes de création.
Comment est née La Peuplade, quelle est son histoire ?
On a ouvert La Peuplade en 2006, avec mon amoureux Simon Philippe Turcot. À un moment donné, on a eu envie de s’installer quelque part et de créer notre projet. Alors, on a quitté la ville et on a racheté ma maison familiale, dans un petit village de la région du Saguenay-Lac-Saint-Jean. Au départ, on ne savait pas que notre projet deviendrait une maison d’édition. On pensait à une galerie d’art… On est des amoureux des arts, on a tous les deux une pratique d’écriture et on avait envie de diffuser le travail d’artistes et d’écrivains. Pendant les premières années de notre relation, on organisait déjà des soirées littéraires, des micros ouverts, dans des petits villages. On a voulu continuer à donner de l’importance à la notion de territoire, au fait que les livres se retrouvent un peu partout.
Ce n’est pas un défi, au Québec, de se lancer dans l’édition si loin de Montréal ?
Aujourd’hui, à condition d’avoir une bonne connexion internet, on peut travailler au centre-ville de Montréal comme dans une maison de bois à 600 km de là… C’est du côté de la diffusion qu’on fait face au plus grand défi. On se déplace énormément, ça demande beaucoup d’énergie. Mais dès le départ, on s’est dit qu’il fallait « aller vers » : aller vers les gens, se présenter. Et très vite, on a eu beaucoup de reconnaissance ! Un autre inconvénient d’être loin, c’est qu’on ne peut pas assister à tous les événements qui ont lieu à Montréal ou à Québec. Mais on le prend du bon côté : on se dit que ça nous permet de garder de l’indépendance dans notre travail et d’être dans quelque chose de très créatif.
D’où vient ce nom, La Peuplade ?
La Peuplade ? Ça vient du dictionnaire !
(rire.)
C’est un mot qui évoque la tribu, le peuplement sur le territoire, on trouvait qu’il nous définissait bien. Et c’est drôle parce qu’on en vient à tisser de superbes relations, on devient comme une famille. C’était un peu prémonitoire, peut-être…
Qui sont les auteurs qui font partie de cette famille ? Quelle est votre ligne éditoriale ?
On est à la recherche de voix fortes, singulières. On a une collection de fiction, de récits et de poésie. Mais on n’a pas envie d’être trop pointus, on travaille beaucoup l’accessibilité des textes et de la maison. La plupart des auteurs sont québécois, mais on va bientôt publier les textes d’un Sénégalais et d’un Libanais. On a aussi une poète autochtone, de la communauté
innue
. On est très contents de l’avoir avec nous. Jusqu’à il y a quelques années, il y avait très peu de littérature autochtone, mais ça commence à émerger et c’est vraiment intéressant, ça fait partie de notre culture.
On sent aussi que le graphisme, l’aspect des livres, est important pour vous.
C’est primordial ! On a fait nos classes avec les années mais on continue toujours d’en apprendre plus sur le métier d’éditeur : la typographie, le papier, le graphisme… On travaille en équipe avec une graphiste vraiment merveilleuse. On travaille aussi par années, en accueillant un artiste en résidence qui met à notre disposition une banque d’images pour nos couvertures.
C’est un concept plutôt original, non ?
C’est inédit, même s’il n’est pas rare que les éditeurs travaillent avec des œuvres d’art. Avant, on choisissait un artiste par livre, et puis on s’est demandé pourquoi on ne travaillerait pas plus longtemps avec un artiste, le temps de vraiment créer un dialogue avec lui. Ça lui donne une plus grande visibilité, on parle de lui chaque fois qu’un livre est publié cette année-là.
Vous vous êtes aussi aventurés du côté du cinéma, avec des courts métrages.
Cela fait partie d’un projet spécial, on en a fait pour six livres. On a travaillé avec un jeune cinéaste québécois, Nicolas Lévesque, et avec des partenaires comme Télé-Québec. Ça a été une belle expérience, vraiment. Ce ne sont pas des adaptations, mais une libre interprétation. Comme les artistes en résidence, le cinéaste avait carte blanche pour créer un tableau poétique à partir des livres.
https://vimeo.com/87216890
Quelle place accordez-vous au livre numérique ?
Depuis que les livres numériques existent, tous les livres qu’on édite sont disponibles dans les deux formats. On suit ce qui se passe dans ce domaine et ça nous amène de nouvelles idées pour la diffusion. Mais je donne des conférences dans des collèges et j’ai calculé que seul un jeune sur sept lisait des livres numériques. Tous les autres préfèrent le papier. Ils disent : « Ça nous sort de notre écran » ou : « On peut l’échapper dans le bain sans que ça nous coute 1 000 dollars ! »
(rire.)
Pour moi, le livre papier est un objet parfait, comme la roue, le trombone ou le bouton : des inventions qui sont là depuis des siècles. Il n’a pas disparu, on annonce même son retour. Je crois à une cohabitation des formats, simplement.
Comment voyez-vous l’avenir pour La Peuplade ?
Depuis dix ans, on vit un développement en pente douce. On n’a jamais eu de mauvaises années et les plus intenses sont dernière nous : on a eu deux enfants, on a fait beaucoup de choses en même temps. L’avenir, ce sont des projets passionnants que je vais continuer à défendre. Notre philosophie même est tournée vers l’avenir, parce qu’on travaille pour que les livres aient la plus longue vie possible, en représentant les auteurs, en les faisant voyager… Ce n’est pas le travail qui manque ! On s’implique aussi activement dans le renouvellement en cours au Québec : beaucoup de maisons d’édition ont été créées à peu près en même temps que nous, ce qui amène des énergies nouvelles. On se considère vraiment comme des collègues et on est contents de faire partie de ce milieu.