Je crois avoir atteint mon idéal de lecture. Cette idée à la fois me réjouit et m’attriste. Je commence par la raison la plus réjouissante : ma quête a enfin pris fin. Comme on dit dans ces cas-là, je peux mourir tranquille, j’ai connu l’extase.
Au-delà de ce texte, j’ai tout simplement rencontré le plus grand auteur. Celui qui me parle à l’oreille. J’en connais la voix, la reconnais dans son style épuré de toute mièvrerie et pourtant si intense. C’est Gary, et aucun autre, qui me fait rire et me fait mal d’une ligne à l’autre.
Clair de femme , par exemple, m’a foutu à l’époque une bonne claque en pleine figure. Stylistiquement – j’insiste – et thématiquement.
L’amour, évidemment, thème que je chéris et que je recherche en lisant la quatrième de couverture. Ça doit, d’une façon ou d’une autre, me parler d’amour, sous quelle que forme que ce soit : amour filial, malheureux, fugace, à sens unique, impossible, fidèle, infidèle, heureux, malheureux, passionnel, sur le déclin, pour un objet, pour un artiste, pour quelqu’un, pour personne.
Dans ce livre, précisément, il est question d’un amour qui se meurt et qu’il faut surmonter à l’aide d’une autre femme, l’Élue, celle qui viendra, non pas panser son cœur meurtri – impossible dessein – mais l’accompagner sur le chemin sinueux et absurde qu’est la vie.
Depuis, j’ai lu Au-delà de cette limite votre ticket n’est plus valable où le sujet tabou traité est l’impuissance d’un homme de cinquante-neuf ans, vue comme un avant-goût de la mort, d’autant plus terrible lorsqu’on aime éperdument une jeune femme.
J’ai lu aussi la Vie devant soi , écrit sous le pseudonyme d’Émile Ajar et qui reçut le prix Goncourt en 1975. Voulant garder son identité secrète, Romain Gary n’alla pas chercher son prix. C’est dans un document posthume qu’il avouera qu’il se dissimulait derrière le nom d’Ajar. Anecdote cocasse, ayant déjà reçu le prix Goncourt sous son véritable patronyme en 1956 avec les Racines du ciel , Romain Gary devint le seul écrivain à détenir par deux fois le prestigieux prix, situation tout à fait insolite, voire illégale au vu de son règlement. La Vie devant soi est le récit d’une solidarité et d’une affection entre une maquerelle juive et un orphelin musulman.
Il y a eu également les Cerfs-Volants mais je l’ai lu il y a un petit temps et déjà je n’en ai qu’un vague souvenir, même si j’en ai adoré la lecture. Il s’agissait d’une histoire d’enfants qui résistent pendant la Seconde Guerre mondiale. Une histoire d’amour est toujours présente dans les livres de Gary, les Cerfs-Volants ne fait pas exception. J’ai noté à l’époque quelques passages, ils pallieront à ma mémoire défaillante :
« – Elle reviendra. Il faudra beaucoup lui pardonner.
Je ne savais pas s’il parlait de Lila ou de la France. »
« Son visage me parut familier et je crus d’abord que je le connaissais, mais je compris aussitôt que ce qui m’était familier, c’était l’expression de souffrance. »
« Monsieur Pinder fut arrêté un an plus tard et ne revint jamais de la déportation ; sa femme non plus, bien qu’elle ne fût pas déportée. Je vais souvent les voir, dans leur petite maison, et ils m’accueillent tout aussi gentiment, bien qu’ils ne soient plus là depuis longtemps, paraît-il. »
Mais revenons à la Promesse de l’aube . Si le Livre de ma mère d’Albert Cohen vous avait éblouis, vous le serez davantage par ce livre-ci. Dans ce récit autobiographique, Gary, encore et toujours, parle d’amour. Celui qui étreint une mère et un fils. Une mère qui veut le meilleur pour son petit et l’imagine déjà ambassadeur de France ! De Vilnius, ils déménageront pour Nice, pour être sur le sol où brillera son fils aimé, elle n’en a aucun doute. Romain Gary lui fit la promesse de la rendre fière et on peut dire qu’il sut tenir parole.
C’est de loin le plus beau livre que j’aie jamais lu.