La Règle de trois de Fumiya Hayashi
Triangle amoureux entre rivalités et insécurités

La Règle de trois est un diptyque qui questionne l’évolution d’une amitié fusionnelle dans le cadre d’un triangle amoureux. Un récit d’un réalisme surprenant qui aborde la question des ruptures amicales et du manque de confiance en soi.
Comme beaucoup, j’ai découvert la bande dessinée à travers le manga. J’avais 8 ans, et en flânant entre les étals de la bibliothèque communale, ces personnages aux grands yeux naïfs m’ont immédiatement attirée. J’ai découvert un manga shojo, genre estampillé comme « réservé aux filles», qui aborde des sujets comme la romance et les sentiments. J’ai immédiatement été happée par le rythme, le design mignon des personnages et surtout, leur expressivité, élément inhabituel dans la bande dessinée franco-belge que je connaissais.
À mes yeux, le succès du format manga est dû à plusieurs facteurs, comme son côté sériel et l’intensité des sentiments qu’y expriment les protagonistes. Ce dernier point séduisait particulièrement l’adolescente que j’étais. J’ai depuis longtemps quitté l’adolescence, mais ai-je pour autant décroché du genre ? Loin de là. La production japonaise est si abondante (au détriment des conditions de travail des mangakas), qu’il est sûr et certain de trouver un titre à son goût. Ces temps-ci, je me tourne vers des récits proches du quotidien qui font l’éloge de sa complexité. La Règle de trois est l’un d‘entre eux.

Ce diptyque nous présente deux amis d’enfance, Kotaro et Toru. Le premier est aussi calme que le deuxième est énergique. Un jour, les deux garçons rencontrent Toko, fille dont tous les deux tombent amoureux. Assez vite, cette dernière fait un choix en repoussant Toru, le plus extraverti, pour choisir Kotaro, le plus posé. Un triangle amoureux s’installe alors, et Toru continue à passer du temps avec le couple jusqu’à disparaître un jour sans explication.
Un jour de printemps, une rencontre inattendue vient bouleverser le fragile équilibre du couple et raviver le manque de confiance en lui de Kotaro. Le premier tome du diptyque lève le rideau sur une intrigue haletante autour de la disparition de Toru. Lequel des deux hommes Toko a-t-elle réellement aimé ? La Règle de trois explore la thématiques des non-dits, du manque de confiance en soi et, par conséquent, en les autres.
Si ce manga offre un point de vue différent sur les triangles amoureux, j’aurais aimé que le récit aille plus en profondeur. Là où le second volume aurait pu répondre à cette question et aux autres qui me brûlaient les lèvres, le mangaka nous laisse sur notre faim. Comment Toru a-t-il construit sa vie après avoir disparu de celle de ses amis ? Dans quel contexte a-t-il fait une croix sur Toko et rencontré son épouse ? L’auteur survole très rapidement l’enfance de son fils et les liens que Toru tisse avec ce dernier.
Ce second volume aborde davantage le point de vue de Toko, un personnage laissé dans l’obscurité dans le premier tome. Finalement, la menace qui plane sur sa relation avec Kotaro n’est peut-être pas Toru. Un parcours introspectif qui parlera à celles et ceux en proie au manque de confiance en eux, mais probablement peu aux autres. En ne restant qu’à la surface de la personnalité de ses personnages, Fumiya Hayashi rate une occasion de les rendre réellement attachants. De plus, les redites à propos du passé de Toru sont fréquentes.

Le couple Kotaro/Toko manque également de substance. On sait que lui est un brillant médecin orthopédiste sans en savoir davantage sur son environnement de travail, ses collègues ou ses passions en dehors du travail. Concernant Toko, tous ses dialogues concernent l’un des deux hommes et sa relation à eux. Difficile de s’intéresser à elle avec si peu de matière à son sujet, et un profil aussi lisse. Toko est gentille, compréhensive, a l’air jeune pour son âge, en résumé, elle est parfaite. Un profil adéquat pour ses proches mais inintéressant aux yeux du lecteur.
Visuellement, les traits fins de l’auteur retranscrivent avec justesse les nuances du propos. Propres aux mangas intimistes, les cadrages serrés nous dévoilent des détails importants. Une main tremblante, une joue qui rougit, un regard surpris. Autant de détails qui permettent au lecteur de vivre les émotions des personnages.
La Règle de trois explore habilement le thème de la culpabilité, mais le récit aurait mérité d’être plus fourni concernant le passé de ses personnages. J’ai apprécié le dénouement inhabituel du triangle amoureux et les questionnements philosophiques posées au travers de la passion de Toru pour la photographie. Fumiya Hayashi continue d’explorer la complexité des relations humaines avec Vies d'ensemble - Au-delà des mots, sorti en 2024 aux éditions naBan. Une série en quatre tomes que je lirai avec curiosité, histoire de voir si l’on en découvre davantage sur les héros du mangaka lorsqu’il leur consacre davantage de pages.