La vie et tout le reste
Sensation au dernier festival d’Avignon, et présenté fin février au Théâtre National, le Sorelle Macaluso est un spectacle sur la famille, l’enfance et la mort. Sept sœurs évoquent leur vie, les bonheurs, les drames et les absences.
Puis elle se mit à danser. En silence, elle exécute un flamenco. Ses mouvements s’étirent et le temps avec. La scène est envahie par un cortège de femmes, tantôt funèbre, tantôt martial. À ces femmes viennent se mêler deux hommes. La salle ne résonne plus que du claquement de leurs pas sur la scène. Dans le cortège, on voit parfois se dresser une croix, certains trébuchent et se relèvent, d’autres pas. La vie défile, en somme.
Quand le cortège s’arrête, il reste sept femmes à l’avant de la scène, sept sœurs qui parlent, et se souviennent, et rient, et pleurent. Elles s’engueulent, se moquent et se souviennent. Les relations complexes entre ces sept sœurs sont finement exposées par le dialogue inaugural. Au détour de leur conversation apparaît la figure du père, son absence, ses filles qu’il n’aimait pas toutes de la même manière. Et ça, ses filles s’en souviennent. Elles se rappellent aussi un après-midi d’été, quand la mer et un stupide jeu d’enfant leur ont arraché l’une d’entre elles. Les récits s’emboîtent et les mêmes répliques reviennent dans des situations différentes. La conversation qu’avaient les sœurs entre elles au début, elles l’ont maintenant avec leur père. Les parents surgissent le temps d’une scène, d’une danse. Ils tournent et ne cessent de tourner, comme les ballerines d’une boîte à musique déréglée. Et ils tournent encore. La mort les a pris mais ils continuent de danser au fond de la scène, dans une lumière chaude comme un heureux souvenir. Elles repensent encore au fils de leur sœur, footballeur en devenir, mort essoufflé. Et à ces vies passées en apnée.
Une troupe de dix comédiens sert ce spectacle qui doit beaucoup à son interprétation. Grâce à un sens du dialogue, au jeu bariolé des comédiens et à une mise en scène inventive, le Sorelle Macaluso parvient à recréer ces choses de la vie. Il ne faut pas plus à cette troupe qu’un décor dépouillé, quelques accessoires à peine et une utilisation ingénieuse des costumes pour qu’existent les sœurs Macaluso. De temps en temps, une musique aux accents de fanfare italienne amplifie les émotions du spectacle. Le spectateur se retrouve comme immergé parmi cette famille et l’écoute. L’utilisation de l’espace scénique permet très simplement de développer une esthétique du souvenir. C’est sans doute la simplicité qui caractérise ce spectacle, cette impression qu’il se déroule sans effort, parce qu’il est sincère. De plus, le spectacle est joué en italien, sous-titré en français, ce qui ajoute au pittoresque de cette famille sicilienne qui ressemble à toutes les autres. La scène finale, superbe, condense toutes les qualités du spectacle : une femme danse et se déshabille en même temps. La lumière l’effleure, ses gestes sont précis. Le corps nu est stylisé et la scène devient une estampe. Elle s’était mise à danser.