L’apprentissage
Quand le premier roman
de Françoise Sagan
(
Bonjour tristesse
, 1954)
rencontre la dernière production
des studios Pixar
(
Vice versa
, 2015),
des liens inattendus se créent…
Aussi incroyable que cela puisse paraître, Cécile ne connaissait pas la tristesse avant cet été-là.
« Cet été-là, j’avais dix-sept ans et j’étais parfaitement heureuse », écrit Françoise Sagan – elle aussi, dix-sept ans – au chapitre premier de son premier roman, Bonjour tristesse .
Depuis quelques années, Cécile mène au côté de son père veuf une existence légère, faite de soirées parisiennes et du « plaisir d’aller vite en voiture, d’avoir une robe neuve, d’acheter des disques, des livres, des fleurs ». Qui plus est, elle n’a à partager l’affection de ce père complice qu’avec des conquêtes passagères. Comme Elsa, avec qui ils passent des vacances joyeuses sur la côte d’Azur.
Mais à l’arrivée d’Anne, une femme sérieuse, intelligente, tranquille et que son père parle d’épouser, Cécile est bouleversée. « Il fallait absolument se secouer, retrouver mon père et notre vie d’antan. » Elle échafaude alors un plan pour écarter la menace. Non sans sombrer au passage dans les « affres de l’introspection », une foule d’émotions nouvelles bataillant soudain en elle.
La magie du livre fait qu’un ouvrage culte peut atterrir entre vos mains plus de soixante ans après sa publication et plus de dix ans après le décès de son auteur, et se laisser lire comme pour la première fois. Pour vous, rien que pour vous, il est neuf, il vient de sortir. Et il entre en dialogue, sans se formaliser, avec toutes les histoires que vous portez en vous, y compris avec celle que vous venez de voir au cinéma : Vice Versa des studios Pixar.
Un film d’animation sur « les petites voix dans nos têtes », ces émotions contrastées qui se disputent les manettes de notre esprit, en l’occurrence celui de Riley, douze ans, chamboulée par le déménagement de sa famille loin de l’endroit où elle a grandi. Colère, Peur, Dégout, Tristesse et Joie sont les cinq petits monstres qui l’habitent. Tristesse, en particulier, est celui qu’elle aimerait à tout prix canaliser, allant jusqu’à l’enfermer dans un cercle tracé à la craie. Quitte à ne plus écouter que Colère, Peur et Dégoût. Avant de comprendre que les larmes ont parfois un rôle salutaire à jouer.
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Complexes, contradictoires, prenant tour à tour le pouvoir, tels sont aussi les sentiments de Cécile. Découvrant sa « dualité » intérieure, elle passe des heures à réfléchir et à se juger, aux prises avec son admiration pour Anne comme avec son désir violent de la voir s’éloigner de sa vie. Elle balance sans cesse entre la honte, la rage, le remords (« il me suffit de penser au rire heureux d’Anne, à sa gentillesse avec moi, et quelque chose me frappe, d’un mauvais coup bas »)… et finalement, quand son plan lui explose entre les mains, la tristesse.
Sans oublier, heureusement, une insouciance, une adorable impertinence et un goût du plaisir qui rendent la lecture de ce mince roman légère et pétillante, malgré la tension dramatique.
Cécile n’est pas Riley, bien sûr. L’âge, le lieu, l’époque, le style : un monde les sépare. Pourtant, elles ont une chose en commun : l’apprentissage de la tristesse, qui apparaît comme un passage obligé, une manière d’apprivoiser notre complexe et parfois déchirante humanité. Pas vrai ?