critique &
création culturelle

Le grand hôtel décalé de Wes Anderson

Film d’ouverture et grand prix du Jury au dernier festival de Berlin, The Grand Budapest Hotel transporte l’univers de Wes Anderson dans l’Europe centrale des années 1930. Génie du lieu, casting phénoménal, construction en poupées russes, feu roulant de péripéties feuilletonesques, humour et mélancolie : c’est un régal. Le film a inauguré la semaine dernière le cycle que l’Ihecs consacre en mars et en avril au réalisateur.

Wes Anderson, âgé de quarante-quatre ans, est un scénariste et cinéaste autodidacte du Texas. Il y a dix-huit ans, il tournait son premier long métrage, Bottle Rocket . Ont suivi huit longs métrages dont le dernier en date est The Grand Budapest Hotel . À chaque nouveau film, Anderson séduit un peu plus de spectateurs à travers le monde en leur offrant une porte ouverte pour s’échapper de la réalité. En effet, lorsque vous parvenez à entrer dans un Wes Anderson (et ce n’est pas toujours facile), vous êtes emporté dans un univers presque surréaliste mais tout bonnement magnifique. La plupart du temps, il parvient avec brio à apporter à ses comédies et ses aventures une touche de poésie grâce à un sens visuel incroyable. Cependant, Anderson a tendance à ne pas donner assez de profondeur à ses personnages et de variété aux sujets qu’il traite. Peut-être parce que jusqu’à aujourd’hui toutes ses œuvres tournaient principalement autour du thème de l’enfance.

L’action principale de son nouveau film se déroule en Europe centrale durant l’entre-deux-guerres. Monsieur Gustave, l’heureux détenteur des clés d’or du Grand Budapest Hotel , et Zero, son apprenti groom, se retrouvent au cœur d’une étrange affaire d’héritage. Si sa gestion du palace peut être qualifiée de très stricte, l’attachant maître d’hôtel n’en est pas moins un séducteur hors pair, avec une prédilection pour les femmes d’un âge vénérable. L’histoire commence avec le décès de l’une de ses clientes octogénaires éprise de lui ; il hérite alors d’une œuvre d’art d’une valeur inestimable. Cela n’étant pas du goût de la famille de la défunte, celle-ci entame alors une chasse à l’homme hilarante qui fera plus d’une victime.

Tout au long de son épopée, notre duo croisera la route de personnages plus atypiques les uns que les autres par le biais desquels Anderson aborde de nouveaux thèmes, tels que la valeur des choses et des gens et la notion de temps. Si on lui reprochait trop de frivolité et d’opacité dans ses opus précédents, dans lesquels il se cantonnait le plus souvent à l’enfance, il prouve ici, en nous offrant quelque chose de plus accessible et de plus accompli, qu’il a sa place parmi les grands du cinéma contemporain. L’intrigue nous emporte sans qu’on ait envie de résister, charmés par les différents tableaux du film et portés par un rythme soutenu.

Sur le plan technique, l’œuvre est d’une grande précision. Les formats d’images sont synchrones avec l’époque de la narration : Cinémascope pour les années 1960 et 4/3 pour l’action principale située dans les années 1930. Le montage des paysages, naturels ou artificiels, nous propose un voyage où les effets et les prises de vues sont remarquables. Anderson n’a pas commis la moindre fausse note au niveau du son : que ce soit pour la bande originale signée Alexandre Desplat ou pour les dialogues pénétrants, rien n’est laissé au hasard et le tout fonctionne parfaitement.

Ce mélange réussi entre cinéma burlesque proche du cinéma muet et comédie douce-amère au charme mélancolique rend le tout particulièrement convaincant : The Grand Budapest Hotel est une véritable réussite à ne manquer sous aucun prétexte.

C’est par la projection de ce nouveau film (toujours à l’affiche dans les salles) qu’a commencé le cycle Wes Anderson du cinéclub de l’Ihecs. En effet l’école bruxelloise de communication appliquée compte dans ses rangs une équipe d’élèves cinéphiles qui se sont donné pour mission de faire découvrir à un plus large public les œuvres les plus remarquables de ce réalisateur.

Le cycle commence ce mardi 18 mars avec The Darjeeling Limited , suivi par The Royal Tenenbaums (le 25 mars) et Moonrise Kingdom (Le 1er avril). Chaque film est précédé d’un apéritif et suivi d’un débat. Le groupe espère ainsi pousser ses camarades à regarder avec plus d’attention des œuvres presque classiques du cinéma moderne.

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The Grand Budapest Hotel

Réalisé par Wes Anderson , d’après une histoire de Wes Anderson et Hugo Guinness
Avec Ralph Fiennes , Tony Revolori , Saoirse Ronan , Edward Norton , Jude Law et F. Murray Abraham
États-Unis/Royaume-Uni/Allemagne , 2014, 99 minutes