Le mythe, la voix,
Du 8 au 19 janvier, la grande salle du Théâtre Le Public se fait l’antre d’un voyage musical et didactique au cœur des histoires de Nina Simone. Dans NinaLisa , Thomas Prédour crée un voyage musical qui démêle les fils de l’intime, du professionnel et de l’Histoire incarnés par une icône, ses démons et sa fille.
Avant d’entrer le 19 janvier 2019 dans la grande salle du Théâtre Le Public, je ne connais de Nina Simone qu’une voix, une image… J’aime I Put A Spell on You et Feelin Good , mais à la vérité, cette femme forte, icône de la musique et d’un combat pour les droits civiques, je ne l’ai jamais rencontrée.
Cette rencontre commence en douceur, par un plateau où tout le décor est recouvert de draps, comme dans ces maisons proprement abandonnées, vouées à n’être habitées que par le souvenir. Un souvenir qui se reflète tout au long du spectacle dans des fenêtres posées en milieu de scène et de l’avant-scène cour. Pour l’heure, dans cet instant toujours un peu magique qui précède la représentation, dans cette minute de basculement entre le réel et le spectacle, c’est un ciel nuageux qui m’accueille.
Le basculement prend fin avec l’entrée de Lisa qui porte un manteau jaune. Avec son corps elle effectue le même voyage que mon esprit, passant de la salle à la scène, du réel au souvenir. Elle est suivie par un homme qui porte ses valises. Le regard de « la fille » est celui de ceux qui reviennent dans un endroit qu’ils ont trop longtemps fui.
Lisa ôte les draps des meubles, celui du piano glisse le premier, elle traverse la « pièce », l’apprivoise et dans ces premières minutes de spectacle, le ciel nuageux est traversé par l’ombre d’une mère que j’attends de rencontrer.
Avec cette première entrée, j’ai la sensation de plonger dans cette épineuse relation mère-fille, dans ses douleurs et ses joies sans que les mots soient nécessaires. J’y vois une promesse de poésie. L’ombre de Nina poursuit Lisa, puis quand c’est son corps tout entier qui rejoint le plateau, c’est une non-rencontre, entre une fille dans le souvenir et une icône dans la nostalgie.
Quand Lisa parle de sa mère, on sent l’amour, l’admiration, la frustration, la rage parfois, l’amertume.
Quand Nina parle de sa fille, il y a l’amour, mais très vite il y a autre chose : il y a la carrière, il y a les combats pour ce qui est juste… il y a tant de choses pour un seul être.
Les échanges entre Nina et Lisa, et avec le public bouleversent vite mes attentes « poétiques » insinuées à l’aube de la représentation, pour créer une curiosité toute didactique. Je ne connais pas l’histoire de Nina Simone, ni de sa fille, ni de son engagement politique, alors pendant une heure vingt : j’apprends.
J’apprends l’épopée d’une star, j’apprends l’histoire d’une lutte et d’une militante, j’apprends la naissance d’une icône, j’apprends qu’être une femme multiple peut éloigner et rapprocher de ceux qu’on aime… J’apprends aussi à écouter des chansons dont les notes m’étaient inconnues jusqu’alors, j’apprends à les comprendre, car le texte traduit défile de part et d’autre de la scène.
Car pour le meilleur et pour le pire, il y a la musique, la grande poète de cette représentation. Dès le départ, avec la découverte du piano comme premier objet dévoilé, j’ai l’espoir d’entendre, de sentir cette musique que je méconnais encore trop. Je ne suis pas déçue, dans les cinq premières minutes, la vie intime et politique de Nina Simone m’est dévoilée en chansons : chaque moment important de la vie de Nina, chaque élément marquant, de la naissance de sa fille, à la rencontre avec son mari, de son refus dans le prestigieux Institut Curtis à la mort de Martin Luther King m’est joué et chanté… tout ce qui est évènement devient inévitablement musique.
Ce procédé, qui me fait tout vivre deux fois me met dans l’attente constante de la prochaine performance vocale et des notes du piano. Entre didactique et musicale, je vis une expérience toute singulière qui pourrait se passer du jeu ou de tout autre artifice vidéo. Chaque moment musical me fait respirer jusqu’au prochain, j’expérimente un cycle au sein duquel j’apprends et je respire.
Alors, si la lumière habille chaudement les scènes, si elle éclaire les chanteuses comme il se doit en les mettant en avant, si elle instille les ambiances justes de chaque moment, si les vidéos qui se reflètent dans les fenêtres proposent des informations supplémentaires, si elles me permettent de voir Martin Luther King, de contextualiser chaque évènement, ou d’illustrer un décor, un souvenir… Lorsque Isnelle Da Silveira et Dyna chantent, tout devient accessoire.
Ainsi dans ce voyage au cœur du souvenir, je me souviendrai des voix et d’un mythe.