critique &
création culturelle

Le Pain noir d'Hubert Krains

La quête du bonheur dans un récit paysan

Pessimisme et destinée tragique, Le Pain noir d’Hubert Krains, paru en 1904, nous plonge dans une atmosphère paysanne intense. On y suit la déchéance à la fois physique et sociale du couple Leduc dans la campagne hesbignonne. Face à la pauvreté et la vieillesse, comment continuer à avoir de l’espoir ?

Le Pain noir parait en 1904 au Mercure de France. Hubert Krains y livre une fiction dans laquelle le quotidien des paysans est décrit avec sincérité et profondeur. En effet, dans ce roman, les époux Leduc connaissent une descente aux enfers : petits aubergistes de la campagne hesbignonne, Jean et Thérèse se retrouvent ruinés à cause des dettes de leur fils ainsi que la nouvelle ligne de chemin de fer qui détourne les clients de leur auberge et signe leur faillite. Dans une seconde ligne narrative, on découvre Cécile, nièce de Thérèse, belle et amoureuse mais au destin tout aussi tragique.

Fils d’ouvriers agricoles hesbignons, Hubert Krains est un écrivain et militant wallon. Ses premiers récits sont publiés dans la revue La Wallonie qui prône une vision réaliste de la campagne wallonne. On retrouve chez Krains un véritable régionalisme puisqu’une grande partie de ses écrits s’y déroulent. Outre son amour pour sa campagne natale, il prend régulièrement parti pour la classe pauvre à travers divers récits. Il meurt en 1934, écrasé par un train, tout comme le héros du Pain noir.

On suit dans des chapitres courts des moments de vie très simples mais pourtant bien représentatifs des échanges entre villageois à l’époque. Bien que les personnages ne semblent en apparence pas très complexes, on découvre au fur et à mesure des traits de personnalité profonds. « Des histoires sombres dans un roman simple », c’est ainsi qu’est décrit Le Pain noir dans la postface de Frédéric Saenen. En effet, dès l’incipit, le lecteur pénètre une atmosphère triste et abandonnée avec la description de l’auberge fermée des époux Leduc. Puis, des événements comme celui de l’attentat, que met en place lors d’une nuit de colère Jean contre le chemin de fer, montrent également toute l’intensité dont peuvent faire preuve les personnages.

Les descriptions ont une place très importante dans ce roman. C’est d’ailleurs ce qui le relie au réalisme belge : des descriptions réalistes et fortes des paysages et des personnages sans tenter de les embellir. Il ne fait aucun doute que Le Pair noir est un drame pessimiste et que les personnages suivent une destinée tragique. Chacun à sa façon est en quête d’un réel bonheur : Cécile qui cherche désespérément l’amour d’un homme malhonnête, Thérèse qui rêve de voir son fils revenir près de sa famille... Malheureusement, ils tombent l’un après l’autre dans le désespoir et la « décrépitude » : Céline pense qu’« il est difficile de se résigner à mourir » et Jean demande à sa femme si c’est « un grand crime de se tuer ». Cette solution de mourir pour échapper à leur destinée rend leur histoire tragique à tout niveau.

« Il n'y avait plus d'illusions possibles, cette fois. Sa vie était tout entière derrière lui, comme quelque chose d'irrémédiablement perdu. De tous ses projets, de toutes ses joies, de tous ses espoirs, il ne subsistait rien qu'un souvenir cruel. Des deux êtres qu'il avait le plus aimés, il ne restait rien qu'un portrait effacé et un tablier usé. Autour de lui, tout était dévasté comme après une guerre ; il se trouvait maintenant seul, vieux, sans ressources, sans espérances et sans consolation. »

Cet extrait de la fin du roman nous montre bien à quel point Jean est triste, face à sa solitude, mais également la tragédie de l’histoire des époux Leduc.

Enfin, les personnages sont face à un mépris social très fort. Lorsque Thérèse se rend à Bruxelles rendre visite à son fils, il dit de ses parents qu’ils sont « encore de ces gens de la campagne [...] arriérés ». Les paysans sont donc humiliés régulièrement face à leur propre échec, et allant plus loin, on peut voir qu’il n’y a même aucun sens de l’amitié, de l’entraide entre les paysans. Le père de Cécile est heureux de revenir avec une meilleure récolte que les autres, Jean se retrouve chez un villageois qui a tout réussi et se vante de sa richesse sans pudeur. En plus du mépris qu’ils subissent de la part des gens de la ville, il n’y a aucune communication entre les paysans. Les dialogues sont d’ailleurs très faibles, voire inexistants dans certains cas. Beaucoup de choses restent en suspens et les personnages silencieux. Comme lorsque Jean se trouve chez ce villageois vantard qui ne le laisse plus partir et qu’il ne trouve plus rien à dire et préfère s’en aller en silence.

Dans ce livre, la nostalgie de Krains pour sa région natale, ses paysages et la campagne qui entoure les personnages, est palpable. Cependant, le pessimisme qui s’en dégage donne le sentiment d’une campagne peu attrayante où rien de positif ne peut se passer, où chaque événement connaît une fin tragique. Cette fatalité m’a personnellement beaucoup touchée. Malgré la noirceur du récit, on se retrouve pris dans les émotions et la passion des personnages.

Le Pain noir est un drame où chaque personnage en quête de bonheur se retrouve face à une vraie déchéance : sociale pour Cécile, physique pour Jean et Thérèse qu’on voit vieillir au fil des pages. Le lecteur pénètre une histoire aux apparences simples mais pourtant bien sombres. Hubert Krains signe donc un roman pessimiste où les personnages tombent l’un après l’autre dans le désespoir et le renoncement.

Le Pain noir

Hubert Krains

Postface de Frédéric Saenen

Espace nord (aux Impressions nouvelles), 2024

192 pages

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