Le retour du suédé
Arrête-toi à la pompe un instant et fais le plein d’absolu avec les comparses Microbe et Gasoil. Il est l’heure de retrouver le démiurge Gondry, le divin touche-à-tout. Mets-les doigts dans le cambouis et écoute un peu.
En janvier, les rédacteurs font leur rétrospective 2015. Ils ont chacun élu un film sur lequel ils souhaitaient écrire. Des coups de cœur aux espoirs insatisfaits, certains partageront aussi leurs attentes pour 2016. Rendez-vous donc chaque mercredi pour la rétrospective 2015 de Karoo Cinéma !
Le pitch, c’est celui de deux ados en quête de sens. L’année scolaire a débuté et Gasoil (Théo) se gare dans la même classe que le petit Microbe (Daniel). Les deux comparses font office de gamins laissés pour compte dans la vie formatée des ados parisiens. Microbe est un ado chétif et chevelu, dessinateur du dimanche, à la mère mystique, au frère punk et à la puberté en attente. On le confond constamment avec une fille. Gasoil, c’est le borderline de la bande. Il compose avec un père brocanteur à la petite semaine et une mère malade chronique. Il s’est réfugié dans la mécanique – d’où son surnom – et gagne quelques piécettes chez les ferrailleurs du coin. C’est l’occasion de fuir le quotidien et de se soutenir à grands coups d’exposition punk, de vélo à bruitages et surtout d’une maison ambulante. Mobile home – littéralement – qui mènera le duo sur les routes de France, à la conquête de la liberté et de la vie, de l’humour et de l’amour.
Le penchant biographique se donne pour ce qu’il est : Gondry fantasme son adolescence ; il se souvient des temps joyeux de l’insouciance et de la franche amitié. Lui, l’enfant qui se liait avec les enfants rejetés par les autres, recrée ici une tranche de vie. L’onirisme habituel du réalisateur nous transporte à tel point qu’on ne sait plus qui de Microbe ou de Gasoil est son incarnation. L’adolescent timide ou l’annonce de son avenir de bricoleur cinématographique. Dans ce film, on retrouve l’ambiance unique de ses œuvres faites de bric et de broc, dans la plus grande simplicité. La débauche d’effets spéciaux de l’Écume des jours avait dû l’exténuer à un point tel qu’il s’est offert une bouffée d’air frais sur les routes de France. Microbe et Gasoil , c’est avant tout une ode au(x) foireux. À la fois à tout ce qui pourrait mal se passer et à tous les ratés de la Terre.
Notons encore le refus de l’inscription temporelle dans ce long métrage. Refus explicite quand Gasoil n’admet pas les expressions modernes du langage de Microbe ou réhabilite l’accord perfecto-jogging-chaussures à boucle comme sommet du bon goût. Il refuse d’être catégorisé, et s’extirpe du marais gluant du temps. Il contourne l’ancrage de la mode. Explicite aussi la disparition du smartphone de Microbe qui permet à la fois d’ emmerder une fois pour toutes le présent et les parents. On est libres du temps et des règles. On part à l’aventure sans ceinture de sécurité, sans guide, sans possibilité de retour. La narration elle aussi fuit le temps. Elle rappelle le conte et le rêve. Conte où deux chevaliers sont en quête d’une princesse, où l’on rencontre des monstres hideux et étranges (des dentistes en manque d’affection), des situations rocambolesques (une coupe de cheveux ratée dans un bordel asiatique) et aventures ahurissantes (une course-poursuite entre les héros et un gang de rugby chinois dont on notera avec amusement la ressemblance fortuite avec des personnages du clip d’ Around the World de Daft punk, lui aussi réalisé par Gondry).
Microbe et Gasoil, c’est aussi le retour du film suédé, dans la lignée directe du chef-d’œuvre Soyez sympas, rembobinez . Effets pourris qui se donnent comme tels, bricolage des décors et dans la narration : tout converge pour rendre le ton inimitable du cinéaste. On sent manifestement le plaisir coupable et régressif qu’a pris le réalisateur dans l’exercice. On est loin des teen movies qui fleurissent sur nos écrans. Gondry donne encore une fois un grand coup de pied dans la fourmilière et affirme une fois de plus qu’on peut créer sans le sou, que le lien entre budget et succès n’est pas inévitable. Le goût pour les figures marginales ainsi que pour les décors et costumes do it yourself du cinéaste français s’y fait de nouveau sentir. On replonge dans son univers onirique, où la frontière entre rêve et réalité devient indistincte, qui avait fait le succès de la Science des rêves et plus encore de Human Nature .
C’est un film qui flaire bon l’ado et l’essence, c’est une histoire d’amour et d’amitié, c’est le passage à l’âge adulte dans un présent continu, c’est un road movie halluciné, c’est une tendresse contagieuse. C’est Microbe et Gasoil .