Avec cette adaptation scénique de l’Écume des jours de Boris Vian, Paul Emond réussit le tour de force de proposer une version moderne, drôle et touchante.
Du 22 au 27 novembre derniers, la pièce l’Écume des jours était à l’affiche de l’Atelier Théâtre Jean Vilar (Louvain-la-Neuve). À l’origine de cette adaptation (audacieuse !) de Boris Vian, on retrouve Paul Emond, romancier, auteur dramatique et essayiste bruxellois, dont on avait déjà beaucoup apprécié l’an dernier l’adaptation pour le même théâtre de Madame Bovary.
Pour cette première représentation au théâtre néo-louvaniste, la salle est comble. Sur scène, Maxime Boutéraon, jeune barbu aux yeux de velours, Antoine Paulin, jeune homme longiligne et élégant, et Florence Fauquet, charmante et élégante dans une robe blanche vaporeuse. À eux trois, ils incarnent Colin, Chick et Chloé, trois protagonistes dans la fleur de l’âge, baignant dans une ambiance jazzy où Duke Ellington, pianiste et compositeur américain des années 1940, règne littéralement en maître.
À la fois candide et sensuelle, Chloé tombe rapidement sous le charme de Colin, boute-en-train plein de charme au visage de bambin. Lui aussi devient rapidement fou d’amour pour sa belle. Quant à Chick, en couple avec Alise mais surtout fervent admirateur de « Jean-Sol Partre », il brille en dandy anglais dégingandé et adopte les casquettes ainsi que les rôles avec une aisance déconcertante (tantôt majordome, tantôt conférencier célébrissime désabusé, etc.). Le vocabulaire décalé, onirique et surréaliste sied bien à ces trois-là dont la complicité est plus qu’évidente, comme naturelle. « Pianocktail », « doublezons », « antiquitaires » et autres joyeusetés jaillissent au détour des dialogues, pour le plus grand bonheur du spectateur, captivé par ces joutes verbales créatives et emplies d’imagination ! Le phrasé est beau, les jeux de mots poétiques et fantaisistes, au point qu’on rit – ou du moins sourit – à de multiples reprises pendant l’heure et demie que dure la pièce.
La situation se gâte cependant lors de la lune de miel de Colin et Chloé. La jeune femme tombe malade et, après différents diagnostics, le verdict est sans appel : Chloé a un nénuphar qui pousse dans un de ses poumons. À partir de ce moment-là, finis les éclats de rire et la légèreté des débuts puisque la belle romance s’achèvera, on le sait, de manière tragique. La grande force de la pièce est cependant de mêler subtilement la joyeuseté à la tristesse, de sorte que l’un ne l’emporte jamais vraiment sur l’autre.
Une esthétique du naturel
Côté mise en scène, pas de superflu puisque les deux metteurs en scène ( Sandrine Molaro et Gilles-Vincent Kapps) ont opté pour l’esthétique du naturel. Sur scène, un mur en papier peint au motif vintage, où une large ouverture permet tantôt de dessiner un lit sur lequel s’étendent Chloé et Colin, tantôt une porte par laquelle vont et viennent les protagonistes, est l’unique décor réellement présent. Sur le mur du fond qu’on aperçoit à travers cette large ouverture est projeté un visuel de roseaux et de plan d’eau (un motif qui servira à Colin à la fin de la pièce pour noyer son chagrin et sa colère). Mis à part les instruments de musique employés dans le courant de la pièce (guitare électrique, synthétiseur et lecteur multimédias), aucun autre accessoire n’est utilisé par Chloé, Colin et Chick. Les trois personnages s’improvisent (avec brio !) à tour de rôle musiciens, danseurs, narrateurs ou encore chanteurs, nous faisant entrevoir toute l’ampleur de leurs talents respectifs.
Une pièce qui swingue
Que vous l’ayez côtoyé pendant l’adolescence (par obligation scolaire), à l’âge adulte (par choix personnel) ou que vous ne l’ayez jamais lu, l’Écume des jours est un livre qu’on peut détester à une époque et adorer à une autre. Et pour cause : l’histoire est loufoque, délirante, voire totalement absurde pour certains ! Mais qu’est-ce qui fait donc l’intérêt de cette œuvre devenue célèbre bien après la mort de son auteur ? Dans ce roman, certains apprécient l’imagination sans bornes de Boris Vian, que ce soit dans le lexique inventé, les images utilisées, les jeux de mots créés, etc. D’autres apprécient la tournure tragique (et prenante) de l’idylle entre Colin et Chloé qui s’annonçait comme idéale, tandis que d’aucuns raffolent de l’ambiance jazzy et « exotique » de l’histoire qui se tisse en toile de fond (musiques de Duke Ellington, soirées dans les clubs et cabarets…). Quelle que soit la ou les raisons pour lesquelles on aime cette œuvre, le mieux est encore de le lire et de le relire pour se forger son propre avis !