Les Lettres de mon père de Agnès Limbos
Retour dans le passé, entre Congo et Belgique
Dans Les Lettres de mon père, la dernière pièce de Agnès Limbos proposée par les Martyrs et le théâtre La montagne magique, on déterre des souvenirs d’enfance au moyen du théâtre d’objet. Au détour d’archives de lettres paternelles adressées depuis le Congo, Agnès Limbos révèle comment la colonisation est vécue depuis la Belgique par une enfant dans les années 60.
Les Lettres de mon père, la dernière pièce d’Agnès Limbos, nous plonge dans la vie d’une petite fille dont les parents sont « ailleurs, très loin » au Congo, dans une Belgique des années 60. La pièce est comme le résumé en fast-forward de la vie de l’auteure, à travers son quotidien et ses émotions.
La pièce met en lumière la colonisation puis l’indépendance du Congo à travers le regard de l’auteure, alors âgée de 8 ans, et celui de son père, fonctionnaire haut-placé ayant troqué sa vie dans la campagne belge pour s’installer sur le territoire african. Des lettres de son père, Agnès en reçoit des dizaines. Laissée pour compte auprès de son oncle le curé avec ses quatre frères et sœurs, la petite fille se fait une joie de lire les mots paternels qui décrivent la vie à l’ancienne Léopoldville. Mais Agnès, devenue plus âgée, est troublée par ces remarques qu’elle redécouvre sur les habitants congolais ainsi que sur le pays.
En utilisant le théâtre d’objets, Agnès Limbos réussit à dire beaucoup avec peu. Ses nombreux objets, disposés sur des tables qui viennent et partent avec un homme qu’on entendra très peu, permettent de changer le paysage ou la scène sans la moindre transition de décor. Une obscurité constante règne sur le plateau. Tout se joue sur ce que Limbos nous raconte et son utilisation de petites figurines ou mobilier miniature. La pièce est comme un concentré de symboles dont la bonne compréhension devient l’objectif du public. La liberté d’interprétation constante à beau donner lieu à un échange captivant à propos des multiples visions qu’on peut avoir de cette pièce, elle nous laisse quelque peu dans l’incompréhension au terme des 70 minutes. La question se pose : était-il judicieux de rendre aussi abstraite une représentation qui touche à un événement historique comme la colonisation? Pas sûr.
Agnès Limbos qui est auteure, unique actrice et metteuse en scène de Les Lettres de mon père a concocté une pièce très sombre. D’abord, dans sa manière d’aborder la thématique. On ne comprend pas si la petite fille est malade ou pas, si elle est heureuse, son mode de vie très religieux est loufoque, ses rêves influencés par le Congo sont effrayants... Une atmosphère franchement bizarre règne dans la salle. L’obscurité en tous points de la pièce est compréhensible : cette période de l’histoire n’a rien de léger mais elle finit par nous transmettre une sorte de lourde fatigue difficile à avaler. La luminosité très faible, les sons (rares mais volontairement dramatiques), la marionnette, symbolisant l’enfance d’Agnès, qui mérite complètement sa place dans le prochain Conjuring et le texte qui ne fait, par moment, aucun sens, nous laissent perdus. Ce sont là les ingrédients idéaux à la réalisation d’un instant angoissant mais que la personnage principale arrive à manier avec intelligence afin qu’on puisse tout de même profiter de son histoire.
Agnès Limbos apporte également une touche d’humour pour le moins décalé mais qui suscite tout de même le rire du public. Cependant, bien que certaines farces soient à la portée de tous, d’autres nécessitent un niveau de références qui n’est pas inné et donc difficile à saisir ce qui peut rendre la pièce pesante.
Artistiquement, différents éléments ont réussi à rendre la pièce nettement plus agréable. La danse du papillon, dont le sens peut être interprété de multiples façons, effectuée par Agnès, a complètement coupé le rythme constant du début d’histoire de manière très inattendue et positive. La poussière sur les objets qu’elle sortait de l’ancien bureau de son père, les lumières bleutées visant les tables qui défilent, le papillon virevoltant entre les scènes... un vrai travail visuel a été fourni et ce pour notre plus grand plaisir.
Il est clair qu’on pourrait reprocher à Les Lettres de mon père un panel de choses différentes (trop d'insinuations floues, enchaînement trop rapide de la fin, etc.) mais le devoir de commémoration souhaité par l’auteure a été intelligible et bien réalisé. Il est difficile d’absolument tout comprendre, tant la pièce repose sur les réflexions et connaissances du public, mais l’essentiel du sujet est relativement explicite : la colonisation directement au Congo et comment elle pouvait être vécue depuis la Belgique.