
Acclamé à La Quinzaine des réalisateurs au festival de Cannes 2015, L es Mille et Une Nuits de Miguel Gomes évoque l’histoire d’un Portugal mal dans sa peau au moyen d’une structure à tiroirs, à la manière des contes persans.
Dans les trois parties de ses
Mille et Une Nuits, intitulées
l’Inquiet, le Désoléet
l’Enchanté, Miguel Gomes utilise des faits réels propices à un développement romanesque, qui furent récoltés par des journalistes pendant un an sur tout le territoire portugais. Pour aborder ce chef-d’œuvre composite, la notion psychologique d’« angoisse de morcellement » fournit une clé de lecture intéressante.
L’angoisse du morcellement est un malaise psychologique qui voit l’individu douter de sa propre existence, se sentir anéanti et ne plus se reconnaître en tant que particulier. Elle se manifeste sous la forme d’une rupture de l’image du corps dont les organes peuvent être l’objet d’actions extérieures. Comment ces notions s’appliquent-elles au film de Gomes ?

Ensuite, le morcellement s’effectue entre le visuel et le sonore. Dans l’ouverture documentaire du film par exemple, les témoignages sonores alternent, en apportant un contrepoint à l’image qui illustre les deux événements sans jamais montrer les personnages qui parlent. Une dialectique s’opère entre ces deux parties puisqu’à l’image sonore environnementale peut se coller un témoignage économique, et vice-versa. Le bref segment de la « Forêt chaude », dans le troisième volet, utilise la même complémentarité audio/visuelle et documentaire/fiction que le début du premier volet, illustrant encore une fois cette capacité du cinéma à donner un sens à une image décontextualisée.

Les Mille et Une Nuits morcelle les genres qu’on peut regrouper sous la notion de « réel merveilleux ». Le réel chez Gomes se déploie en une dimension mystique, voire métaphysique. Le surnaturel advient dans la réalité qui se lie au rêve, fusionnant le visible et l’invisible. En émerge un discours identitaire sur l’histoire d’un Portugal mal dans sa peau, transfigurée par l’imagination. L’animalier devient le substitut du remède social ou politique : le coq prévoit le malheur des hommes et essaie de réveiller les consciences des villageois, la vache au cours du procès prononce des paroles de sagesse, Dixie est le seul qui vit bien dans la pauvreté de son entourage en changement constant, les pinsons deviennent le symbole d’une communauté portugaise impuissante au cœur de sa crise.

Dans ce morcellement, élevé exponentiellement à l’infini, le vrai film serait le parcours du spectateur entre les trois volets. Le corps filmique des Mille et Une Nuits connaît une rupture qui fait éclater son unicité et le rend multiple. Le film est cousu à l’image de son propos, celle d’un Portugal en voie de néantisation, qui doute de sa propre existence. Des organes du corps portugais (social et politique) s’en détachent et deviennent des agents extérieurs indépendants qui agissent sur lui, malgré lui : mutation extrême de l’angoisse du morcellement.