Les Young Art Reporters
Les Young Art Reporters (abrégez en YAR) ont formé pendant un mois un groupe de jeunes journalistes constitué et encadré par le Kunstenfestivaldesarts et De Veerman. Karoo était là en toile de fond, pour les soutenir dans leur démarche. « Paradise Now : une réaction / een reactie » est un texte de Lucie Yerlès à propos du spectacle de Michiel Vandevelde / fABULEUS , Paradise Now .
Je n’avais aucune attente et qu’une très vague idée de ce que je venais voir, j’étais fatiguée mais résolue à me concentrer. La lumière s’éteignit dans le public.
Une succession de tableaux vivants ; 50 ans de poses, de guerres, de modes, de drames, d’évènements, d’inventions et d’images historiques, forcément d’une grande subjectivité mais nous avons bien là un panorama de 50 ans de vécu. Un état des lieux.
Le projet se base sur le
Living Theater
et cette question : comment regarde-t-on le passé pour apprendre à gérer le futur ? On le voit bien aujourd’hui : les erreurs se répètent inlassablement, et la naïveté de la jeunesse d’antan ne semble plus de mise en 2018.
Qui a encore le sentiment de pouvoir changer le monde ? On semble tous être face à un mur.
Sur scène, une jeunesse colorée et fraîche sur lequel est projeté un historique de révoltes, des décennies d’histoires qu’elle n’a pas vécue.
Uniformes de baskets noires et blanches et vêtements flashy et hétérogènes, pas de doutes on a fait du chemin depuis les années '60.
Au départ, j’ai un peu de mal à rentrer dedans, et puis petit à petit, je me sens happée par ce qui se passe sur scène. La rébellion de ces enfants sauvages va crescendo du début à la fin de la pièce et on est pris à part dans une énergie et un rythme exigeant dont je ne peux plus me détacher.
Dans le fond et dans la forme les barrières sont brisées, et malgré leur jeune âge, ils n’ont pas peur de bousculer le public, de repousser les limites qu’on croyait exigées dans les salles de spectacle. Un gros réveil bien violent, mais surtout un gros coup de gueule de liberté : on entre avec eux dans cette révolte nécessaire menée avec une hargne rare, la puissance et la force impressionnantes d’un groupe survolté.
Ils tentent de nous réveiller, nous réveiller face à la réelle violence qui nous entoure.
Ils nous transmettent l’énergie de la lutte, lutte contre l’oppression permanente, lutte contre l’immoralité de ce monde, lutte contre l’individualisme imposé, lutte contre ce capitalisme malsain où l’argent occupe la première place, bien loin devant l’humain. C’est face à ce constat qu’ils se lèvent et nous convient à les suivre.
Living Theater
version 2018.
Je suis perturbée, ces jeunes-là arrivent à me transmettre cette énergie incandescente et j’ai envie d’agir. Comme moi, ils ont encore un sacré bout de chemin à faire ici, et pour eux ce n’est pas la peine d’imaginer faire ce bout de chemin dans la passivité et le désabusement. Une rébellion à l’état pur se passe en ce moment sur scène, et c’est beau. Putain que c’est beau de voir des individus se battre ensemble avec une tel nécessité !
Tu sens en eux le trépignement, ce besoin de liberté jubilatoire. Ce besoin de changement vital. Je me sens un peu comme dans l’île des Enfants perdus de Peter Pan, comme une vision d’une autre vie possible, une vie communautaire et rebelle loin des perspectives encadrées et oppressantes.
Un vrai ring de boxe se dessine entre cette jeunesse et la vie qu’on leur impose.
Et puis un retour au calme s’opère, et c’est le moment du réconfort chaud des corps, un besoin de rassemblement tactile. Le toucher n’est-il pas notre premier sens pour créer du lien ? Après ce tourbillon, on sent le besoin du rassemblement, le besoin de cohésion.
The fight stopped, time to be soft.
Ce spectacle m’a totalement chamboulée, j’ai eu l’impression de vivre une expérience quasi mystique tant je suis entrée dedans, avec eux ; ils étaient dans la salle avec nous, nous étions sur scène, il n’y avait plus de murs ni de cadre.
Cette énergie du désespoir qu’on nous montre est instantanément liée au courage auquel mène ce désespoir. Comment créer une source de solidarité ?
Par les corps, par l’énergie, on entrevoit les prémisses d’une réponse.
Parfois le désespoir de l’esprit devient la joie des corps, seule issue face à un système social et économique omnipotent. On y oppose la puissance du collectif et de sa révolte.
Même dans la démarche de création, Michiel Vandevelde a réussi à recréer partiellement ce qui faisait tout l’intérêt du Living Theater : cette force du collectif, en grande partie créée par le quotidien de la communauté, vivre en groupe, réfléchir en groupe, se battre en groupe, comme une évidence après le spectacle, cela semble bien être la clé à des combats et des problématiques qu’il serait grand temps de régler.
Lucie sur 'Paradise Now (1968-2018)' de Michiel Vandevelde / fABULEUS au Kaaitheater dans le cadre du Kunstenfestivaldesarts 2018.
NL