L’éternelle actualité
Une marquise inconsolable fait le deuil de son défunt mari. Un chevalier ne se remet pas de ce que sa promise l’ait quitté pour entrer au couvent. Ces deux âmes se croisent. Lisette et Lubin, leurs domestiques respectifs, s’arrangeront pour que leurs maîtres s’aiment.
Le critique a ce défaut qu’il aime et parle toujours des mêmes sujets : la vie, la mort, les souvenirs et l’amour. Il s’enthousiasme à chaque fois que les textes classiques gardent leur singulière actualité. Pourvu qu’il assiste à une représentation d’un Marivaux moderne sans être modernisé, accessible et universel, le critique l’écrirait comme s’il avait découvert la Lune.
L’argument est simple comme du Marivaux, et heureusement. Il suffit de six personnages pour que complots amoureux et badinages provoquent des quiproquos. Ce sont les personnages qui créent les situations. Marivaux l’avait compris et c’est pourquoi son théâtre, écrit dans le langage de la conversation, reste actuel. Le spectateur ne sera pas pétrifié par des vers classiques mais émerveillé par ce langage simple et châtié, où mots d’amour et vacheries s’échangent sous des tournures courtoises. Même si les chevaliers et les marquises, les servantes et les domestiques, nous semblent d’un autre âge, d’une imagerie d’un autre temps, les caractères subsistent.
Valentin Rossier centre donc sa mise en scène sur les personnages. Le décor, épuré et astucieux, semble figurer ce que le spectateur imaginera. Les femmes sont serrées dans des robes élégantes, les hommes en noir. Lubin est un domestique décontracté et le comte porte polos et mocassins. Ils se promènent sur cette scène jonchée de la poussière dont on recouvre les terrains de tennis. Éclairage discret et sans tapage, jeux d’ombres chinoises complètent l’inventaire. Place maintenant au texte. Et à ses personnages.
Car si le théâtre de Marivaux est un théâtre de personnages, il faut rendre ici compte du talent des comédiens. Marie Druc est une impeccable veuve capricieuse et finalement consolable. Anna Pierri désarçonne par sa composition d’une Lisette espiègle et drôle. José Lillo est parfait de pédanterie et de retenue frustrée dans le rôle d’Hortensius. Paulo de Santos compose un Lubin un peu caricatural mais de plus en plus subtil au fur et à mesure de la pièce. Pierre Banderet ravit en tant que comte sûr de lui et outré. Et Valentin Rossier incarne un chevalier énamouré sous antidépresseurs. Et la troupe tout entière nous emmène avec elle.
Avec cette compagnie genevoise (l’Helvetic Shakespeare Company), Marivaux reste Marivaux, sans trahison aucune. Mais Marivaux reste avant tout du théâtre, intelligent, cocasse et subtil. Qui explique pourquoi certains montent sur scène chaque soir tandis que d’autres les regarderont prononcer des mots écrits il y a trois cents ans et qui parleront encore d’eux, de nous.