L’homme qui valait 35 milliards
En 2009, Nicolas Ancion signait un roman en forme de satire sociale. Adapté au théâtre par le Collectif Mensuel et présenté actuellement au théâtre de Poche, L’homme qui valait 35 milliards devient une odyssée minuscule et hilarante, un mélange de théâtre, de lecture-concert et du meilleur du cinéma belge.
Le grand magnat de l’acier Lakshmi Mittal est à Bruxelles. Il vient plaider sa cause devant la Commission Européenne afin que les taxes sur l’acier soient baissées. Sur le trajet du retour, entre deux rendez-vous, il accorde une entrevue à la Télévision Belge. Le ton du journaliste, d’abord assez fade, vire rapidement aux accusations et aux revendications. D’ailleurs, il n’a rien d’un journaliste. Et le riche industriel Indien de se retrouver l’otage de ravisseurs au projet fou et un peu absurde.
Il n’a rien d’un journaliste, Richard Moors. Il serait plutôt artiste plasticien, Richard Moors. Du reste, il n’a rien contre Lakshmi Mittal. Seulement, il n’a plus exposé depuis, l’inspiration se fait rare et il doit multiplier les allégeances pour espérer obtenir une place de professeur aux Beaux-Arts. À Liège, où il vit, Richard peut espérer longtemps. On ne lui accorde pas la reconnaissance qu’il souhaiterait. Richard va devoir taper fort, trouver l’idée que tout le monde lui enviera et le projettera au centre de la sphère médiatique. Il pense à une performance, à un grand détournement : recopier vingt-quatre œuvres emblématiques de l’Art Moderne et les signer de son nom. Et s’il faisait réaliser ce projet insensé à Mittal, dont on parle depuis qu’il a fermé les hauts-fourneaux de la région de Liège ? Accompagné par Patrick, un ancien camarade fraichement licencié des usines de Mittal, et Marion, son ami journaliste, Richard échafaude ce qui va vite tourner en un kidnapping burlesque et révolté.
Spectacle sur un monde désenchanté, le nôtre, L’homme qui valait 35 milliards met en scène trois individus aux ambitions déçues, aux vies désœuvrées et aux volontés inachevées. Richard se rêve en artiste reconnu, or il stagne dans son atelier ; Marion commence des romans qu’elle ne finira jamais et fournit des piges au Vlan ; Patrick s’ennuie dans son travail ouvrier et pourtant le regrette dès l’instant où il est limogé. D’abord moyen de se faire remarquer, leur projet se mue rapidement en un cri de révolte. Médias, politique, inégalités sociales, leur kidnapping devient le terrain de toutes les dénonciations. Pourtant fort ancré dans la région de Liège et son milieu ouvrier, le spectacle brasse des sujets universels et parvient à faire l’inventaire des maux de la société contemporaine . Par un montage frénétique mélangeant musique, lecture, projection vidéo et théâtre, le spectacle en profite pour parodier et épingler ces différents moyens de communication. Nombreuses sont les références au cinéma et à la télévision. On pense aux films de Bouli Lanners, à C’est arrivé près de chez vous , à Strip-Tease . De même que la célèbres cène de La 25ième heure de Spike Lee, dans laquelle Edward Norton égrène tout ce qui l’emmerde et qu’il emmerde, est explicitement citée et intelligemment détournée.
Évidemment, L’homme qui valait 35 milliards doit beaucoup à la performance de ses comédiens et l’habilité de leur dispositif théâtral. Sandrine Bergot, Baptiste Isaia et Renaud Riga alternent brillamment entre les genres : ils jouent la comédie et de la musique ; déplacent les éléments du décor ; déclament, modulent leur voix et peuplent la scène d’une multitude de personnages. La présence des deux musiciens souligne certains gags, rythme la pièce et emmène parfois le spectacle dans une énergie rageuse et punk. Quand on voit l’invention avec laquelle le Collectif Mensuel adapte le roman de Nicolas Ancion, on peut être frustré de la troisième partie du spectacle et DE son utilisation hilarante mais peut-être un peu facile de la vidéo. On aurait aimé suivre ce marathon artistique sur scène. La séquence finale, musicale et visuelle, prouve d’ailleurs la capacité du Collectif Mensuel à faire exister sur scène la réflexion, l’art, l’humour et la dénonciation sociale. Et clôt superbement le spectacle.
Du 11 au 29 novembre 2014 à 20h30
Théâtre de Poche, 1a Chemin du gymnase
1000 Bruxelles (Bois de la Cambre)
Réservations: + (32) 2 649 17 27