L’Immeuble Yacoubian
Publié en 2002, le roman de l’Égyptien Alaa Al Aswany est un véritable chef-d’œuvre, une somme, que dis-je : un tour de force littéraire ! Durant deux ans sur la liste des best-sellers à sa sortie, il a depuis été adapté au cinéma par le réalisateur Marwan Hamed.
Al Aswany nous plonge dans le Caire de la fin du XX e siècle, au moment de la guerre du Golfe (celle de Bush père). On assiste à l’émergence progressive d’une société nouvelle, tiraillée entre un passé profondément marqué par l’influence occidentale et un présent dominé par l’autoritarisme de Moubarak et les discours vindicatifs des musulmans intégristes.
Deux personnages synthétisent à eux seuls cette tension : Zaki Dessouki, la soixantaine, rentier et play-boy aux manières surannées, fils d’un ancien ministre du roi Farouk, éduqué dans les meilleures écoles de Paris et Taha, un jeune homme de vingt ans extrêmement pieux, fils du concierge de l’immeuble éponyme, travailleur et courageux mais de trop modeste extraction que pour accomplir son rêve d’intégrer l’Académie de Police. Humilié par les examinateurs, déçu par la corruption des administrations égyptiennes, il ne lui faudra pas longtemps pour se laisser séduire par les belles paroles du cheikh Chaker, avide d’intégrer de nouvelles recrues au jihad qui s’annonce.
À travers le personnage de Taha, on se laisse surprendre à comprendre les motivations de certains fondamentalistes religieux, lassés de vivre sous la botte d’un gouvernement de voyous, sans la moindre perspective d’avenir pour les jeunes issus des classes défavorisées.
Mais Taha et Zaki ne sont pas les seuls personnages auxquels on s’attache dans ce roman qui, par sa densité et son foisonnement, n’est pas sans rappeler les tomes des Rougon-Maquart de Zola (et je suis loin d’être le premier à l’écrire). On en rencontre, du monde, dans cet immeuble Yacoubian, depuis Hatim Raschid, éditorialiste d’un journal à succès et homosexuel plus ou moins assumé, à Buhayna, la petite amie de Taha, contrainte de travailler pour un patron libidineux afin de subvenir aux besoins de sa mère et sa fratrie…
Bref, c’est un roman captivant qu’Al Aswany nous offre. Un roman qui, bien qu’ayant pour toile de fond des sujets sérieux, nous entraine dans une suite d’épisodes tantôt amusants, tantôt franchement angoissants mais toujours prenants. En plus, il fait réfléchir. Que demander d’autre ?