Luc Baba
Auteur prolifique et multiforme, le poète est quant à lui aussi rare sur papier qu’il se révèle généreux sur la scène. Luc Baba, puisque c’est de lui qu’il s’agit, nous revient cependant avec un troisième recueil, La colère est une saison , dans un registre qu’il éprouve et expérimente depuis quelque temps déjà : l’art du portrait.
Après deux biographies très remarquées, l’une consacrée à Jacques Brel, l’autre à Charlie Chaplin, après également un premier essai de portrait poétique dans son
Tango du nord de l’âme,
c’est à nouveau la singularité d’une existence que Luc Baba a choisi de nous conter dans La colère est une saison, publié en février dernier aux éditions Tétras Lyre et qui vient compléter une galerie de personnages déjà bien fournie.
Un poème ici encore inspiré par la petite vie pourtant très remarquable d’une personne ordinaire, poème libre et fantasque qui retrace l’histoire ou plutôt le cheminement somme toute anecdotique d’une jeune femme , grande sœur sans visage et humiliée qui, des dragons bâillonnés de l’enfance aux horizons inaccessibles de la vie et de ses renoncements, se façonne pour elle-même une chair qui danse et se devient, souliers de verre qu’elle s’invente comme pour ne pas y lâcher prise. Un portrait en forme de conte de fées, donc, de cette Cendrillon qui peu à peu renoue avec l’imaginaire et les serments de l’enfance pour se donner à naître , retourner le masque et le goulot, avec rien d’autre véritablement que sa naïveté de petite fille qui aurait aimé rêver au prince charmant dont elle se refuse à faire le deuil. Et si le genre est biographique, l’auteur entend cependant bien mener son art à sa guise.
Nulle introspection ni grand détour psychologique ici pour narrer son héroïne, du coup sans véritable profondeur mais néanmoins pas sans relief pour le lecteur qui en parcourt la genèse. Et c’est là certainement tout le génie et toute l’originalité de l’œuvre de Luc Baba. Repositionner un à un les événements même anodins qui marquent, qui façonnent et concrétisent la personne. Recomposer son point de vue et sa sensibilité, je veux dire la force de son expression qui est aussi bien le rythme sous lequel son corps et son monde enfin s’animent et dansent par eux-mêmes, serait-il le rythme ici saisonnier de la colère lorsque la fin comme le moyen du désir, Pierrot et la fée des moisissures, manquent à toute attente.
Et si ici comme ailleurs le récit de ses personnages se présente à la troisième personne, c’est bien avec leur langage propre que Luc Baba nous en parle le mieux et construit au compte-gouttes sa poétique si singulière et vivante, entre cruauté et espièglerie… une poétique à hauteur d’homme.