Maître de son emprisonnement ?
Mercy, Mary, Patty de Lola Lafon est le roman de notre génération. Génération qui se veut libre et également sous contrainte. Sans interdit, l’adrénaline d’enfreindre n’aurait pas le même goût. Ces trois jeunes filles ont tout perdu et tout gagné dans le même laps de temps. Comment peut-on croire en la liberté si on ne se sent pas enfermé ? Lola, auteure de plusieurs ouvrages, nous donne un brin d’espoir dans cette société qui se veut parfois injuste. Grâce à son livre, elle propose une toute autre version de ces histoires. Sous un autre regard, on imagine les faits d’une autre manière.
Le nom de Patricia Hearst vous inspire-t-il ? Petite fille de William Randolph Hearst, magnat de la presse et connu pour avoir inspiré le film d’Orson Welles, Citizen Kane , Patricia Hearst a fait la Une des journaux dans le milieu des années 70. Riche héritière, elle est kidnappée par la SLA (en français l’Armée de Libération Symbionaise). La SLA est un mouvement américain d’extrême gauche qui est considéré comme l’avant-garde d’une armée révolutionnaire. Cette association communiste, formée en 1973 a pour but : la symbiose, l’interaction à bénéfice mutuel entre les espèces. Les différentes « races » humaines devraient être égales entre elles. Patricia est conquise par leurs convictions et adhère à leur cause. Elle, qui a grandi sans manquer de rien, s’est senti coupable de sa situation.
À sa manière, telle est l’histoire racontée par Lola Lafon. L’aventure que Patricia Hearst a vécue est retracée par Lola. Comment une jeune femme de bonne famille a-t-elle pu épouser la cause de la SLA ? Renier sa famille et vivre dangereusement durant plusieurs années ?
La presse ainsi que la majorité des personnes ont trouvé leur réponse par le biais du syndrome de Stockholm1 . Le traumatisme subi par Patricia lors de son kidnapping aurait chamboulé sa manière de penser au point de participer et d’adhérer à la démarche de ses ravisseurs. Pendant les différents braquages, elle se serait « battue » à leur côté car elle n’aurait pas eu « psychiquement » le choix.
Lola Lafon ne voit pas les choses de cette manière. Dans son livre, grâce aux personnages fictifs, elle propose une toute autre finalité. Patricia aurait mené à bien sa « liberté » au sens large. Vu comme une victime par les yeux des gens qui suivaient son histoire, elle serait en fait maître de ses actions et de sa propre vie.
Par un processus lent mais prenant, Lola Lafon met en place une enquête réalisée par les deux personnages principaux : Gene, professeure chargée de rédiger un rapport pour l’avocat de Patricia Hearst et Violaine, étudiante qui assiste Gene. Les deux femmes tentent tant bien que mal de résoudre cette enquête via les enregistrements, les faits, les articles qu’elles ont en réserve.
L’émancipation des femmes est au cœur du roman. Si l’affaire Patricia Hearst est l’essence de l’ouvrage, deux autres histoires sont mises en avant. Celle de Mercy et celle de Mary. Leur point commun ? Mercy et Mary ont également été kidnappées. Mercy a été enlevée par des Amérindiens en 1690 à l’âge de 17 ans et par la suite, elle refusera d’être libérée. Mary, âgée de 15 ans, sera kidnappée et adoptée par des Amérindiens en 1753. Leur deuxième point commun se trouve être leur comportement vis-à-vis de leurs ravisseurs. Toutes les trois se positionneront au côté de leurs « bourreaux ». Les « victimes » font parties de l’ouvrage fictif de Gene, la professeure, qui s’intitulera : « Mercy, Mary, Patty ». Patty étant le surnom de Patricia Hearst.
Le roman est subtil et nous met du baume au cœur : pour Lola Lafon, si dans la réalité Patty est victime de ses ravisseurs, elle était prisonnière avant même d’être kidnappée et libre par la suite. On aime aussi l’écriture élégante et les dialogues qui fluidifient la lecture.
Aujourd’hui les inégalités sont toujours omniprésentes et la pseudo biographie de Patty reste on ne peut plus d’actualité. Sachant que la moitié de la terre appartient aux « quelques » milliardaires, l’inégalité des richesses est un sujet délicat que Lola Lafon a su manier avec simplicité. Patricia Hearst s’est ralliée à la cause en aidant la SLA à remettre de l’ordre dans ces inégalités (en demandant par exemple à son père de reverser une partie de son argent pour donner des denrées alimentaires à des gens sous le seuil de pauvreté) et a mis en évidence que sa vie n’était pas plus importante que celle de quelqu’un d’autre.
Lola Lafon réussit avec brio son cinquième roman qui apporte une toute autre perspective à cette affaire tant médiatisée aux États-Unis.