critique &
création culturelle

Mille quatre cent quarante minutes

Depuis le 17 mai, le Centre Pompidou propose à ses visiteurs l’installation de Christian Marclay, The Clock . Lion d’or à la biennale de Venise en 2011, l’œuvre a depuis parcouru les plus grands musées du monde et, pour la deuxième fois, fait escale à Paris. Il est rare qu’une œuvre contemporaine soit aussi commentée et admirée, et pas uniquement dans la presse spécialisée. Un succès mérité ?

Il aura fallu à Christian Marclay et à ses assistants trois ans pour mettre au point The Clock . Et il suffit de passer quelques instants devant cette installation vidéo pour prendre conscience de l’immense travail que représente ce gigantesque projet artistique.

Le principe est à la fois simple et terriblement impressionnant. The Clock est une vidéo de vingt-quatre heures, projetée dans les conditions d’un film de cinéma (grand écran, espace fermé, salle plongée dans le noir, fauteuils, …), composée uniquement d’extraits de films dans lesquels apparaissent les minutes et les heures d’une journée. Horloges, réveils, montres, appareils ménagers, bombes prêtes à exploser… Des milliers de courtes séquences qui, mises bout à bout, constituent une boucle de vingt-quatre heures, minute par minute, et sont synchronisées avec le temps du spectateur. En clair : si vous entrez dans l’exposition à 14h30, il sera 14h30 à l’écran.

Il est donc question de temps et, à la vue de toutes ces images, difficile de ne pas considérer qu’il s’agit là d’un thème — ou du moins d’un motif — infiniment récurrent dans l’histoire du cinéma… En égrenant toutes les minutes de la journée, la vidéo met en scène le temps, le matérialise. Un momento mori en images et en temps réel.

Dans ce dispositif, le temps du film — de la diégèse — est égal à celui du spectateur : fiction et réel se rejoignent pour créer une étrange sensation chez celui qui assiste à la projection, entre distance et adhésion par rapport à ce qu’il voit à l’écran. Il est à la fois immergé dans l’œuvre, présent, synchrone avec la fiction qui se déploie sous ses yeux et, dans un même mouvement, rappelé à son quotidien : le temps de la visite et du visionnage passent, invitant sans arrêt le spectateur à revenir vers sa propre temporalité. On est rarement, dans un lieu d’exposition, aussi souvent conscient de la durée d’une œuvre et du temps passé à la regarder.

Une autre proximité créée par The Clock est celle partagée avec les extraits utilisés dans le film. On reconnaît des scènes, des acteurs. Dans ce patchwork d’images, c’est aussi une histoire collective du cinéma qui se dessine — des classiques hollywoodiens en noir et blanc aux séries B — et, par-delà, une histoire de la mémoire du spectateur. Pas une histoire de cinéphile mais quelque chose de l’ordre du quotidien, de la proximité.

Autre effet intéressant : en mettant bout à bout des extraits a priori sans rapport les uns avec les autres, Christian Marclay a façonné un ready made fictionnel, un grand collage d’où surgissent d’improbables rencontres entre univers différents. Un téléphone sonne à la fin d’une séquence et c’est le personnage d’un autre film qui y répond. Chaque spectateur aura, en fonction de l’heure à laquelle il découvre le film, un morceau d’histoire différente. Au moment où j’ai visité l’exposition, les extraits mettaient surtout en scène des moments d’attente, de suspense. D’où l’impression d’une action qui retardée, prête à exploser.

Le travail du son assez remarquable, fruit d’une postproduction extrêmement poussée qui permet de lier tous les échantillons et ce sans recourir à une bande-son autre que celle des films. Là aussi, à côté de la musique et des dialogues, le temps est à l’œuvre : tic-tac, sonneries et autres bruitages rendent audibles le passage du temps. Ce collage sonore n’est pas étranger à la pratique artistique de Christian Marclay : il travaille depuis ses débuts, à la fois comme DJ et comme compositeur, l’idée de la manipulation sonore. Ici aussi, c’est une autre manière de parler du temps. L’artiste reconnaît à cet égard l’influence des œuvres de John Cage pour qui la musique est avant tout une durée.

À côté de tous ces éléments qui font de The Clock une œuvre riche et prégnante, on peut également noter qu’elle s’inscrit dans une tendance plus générale de l’art contemporain qui consiste à faire de l’exposition un événement. Que l’on pense aux Monumenta du Grand Palais, aux Nuits des musées partout en Europe ou aux expositions qui, dans leurs derniers jours, ouvrent même la nuit : l’art contemporain flirte aujourd’hui largement avec l’événementiel. Dans le cas de la vidéo de Christian Marclay, le Centre Pompidou annonce deux projections de l’œuvre dans sa totalité, durant vingt-quatre heures. Avis aux chronophages…

Présentation en accès libre, vingt-quatre heures sur vingt-quatre le 2 juillet 2014 :
Infos pratiques

Même rédacteur·ice :

The Clock
Christian Marclay

Centre Pompidou, jusqu’au 2 juillet 2014