Dans le cadre de l'exposition The Light House à la Villa Empain, la Fondation Boghossian présentait, cet hiver, une installation in situ signée par l'artiste palestinienne Mona Hatoum (1952) : « Misbah ».
Loin de la grandiloquence des néons de Mounir Fatmi, des illusions chromatiques d'Adrien Lucca et des fenêtres iridescentes de Jan Liégeois sélectionnés pour l'exposition The Light House , Mona Hatoum, figure majeure de l'art contemporain, célèbre pour ses détournements politiques d’objets du quotidien, proposait avec « Misbah » (« lanterne » en arabe) un détournement émouvant de la lanterne traditionnelle orientale, une pièce phare pour cette « maison de lumière » le temps d'une saison.
Suspendue dans l'intimité d'une pièce sombre du premier étage de la villa Empain, la misbah tourne sur elle-même, comme un mobile dans une chambre d'enfant. Mais le bercement de ces éclats de lumière, tournoyants et hypnotiques, détourne notre attention des étoiles et des silhouettes découpées de soldats armés projetées sur les murs.
Souvenir vertigineux de sa patrie, la Palestine, dévastée par la guerre, « Misbah » place le spectateur à hauteur d’enfant. Dans les ténèbres de la pièce, la lanterne devient un carrousel meurtrier qui ne s’arrête jamais ; l’installation une transe, un paradoxe entre puissance esthétique et extrême violence symbolique.
Emprunt d'une inquiétante étrangeté, « Misbah » s’inscrit dans la continuité de la pratique artistique engagée de l’artiste, exilée en Angleterre. En effet, Mona Hatoum détournait déjà, en 1992, des cages métalliques pour animaux, enfermant le spectateur dans un piège mouvant d’ombres (« Light Sentence »), un emprisonnement métaphorique et un plaidoyer pour la démocratie et la liberté. « Misbah » est aussi une expérience visuelle et physique, projetant les étoiles des détonations sur toute personne présente dans la pièce, évocation déchirante des civils tués arbitrairement dans cet interminable et tragique conflit.
Quelques années après la réalisation de « Misbah », Mona Hatoum découpera les mêmes dangereuses silhouettes dans des mouchoirs en papier (« Untitled (cut-out 11, 2009) »), impuissants face aux larmes palestiniennes qui continuent encore de couler. En 2021, les œuvres de l'artiste ne semblent en effet jamais avoir aussi tristement résonné avec l'actualité.