Mise en quarantaine
Transfuge des comédies américaines qui tachent, Ben Stiller est métamorphosé dans While We’re Young , portrait doux-amer d’une génération postmoderne à la recherche du temps perdu, pas encore vieille mais plus tout à fait jeune… Au programme de ce petit bijou de cinéma indépendant : âge tendre et gueules de bois…
En janvier, Karoo fait sa rétrospective 2015. Plusieurs rédacteurs ont élu un film sur lequel ils souhaitaient écrire. Des coups de cœur aux espoirs insatisfaits, certains partageront aussi leurs attentes pour 2016. Rendez-vous donc chaque mercredi pour la rétrospective 2015 de Karoo Cinéma !
New York Village. Josh (Stiller), documentariste dilettante, et Cornelia (la somptueuse Naomi Watts), productrice en vogue, incarnent le couple typique à la Woody Allen version années 1980 : fringant, friqué, plus ou moins heureux, intellectuel et quadragénaire. Seuls bémols : sans progéniture et la routine faisant doucettement son office, ils sont en quête d’un second souffle sentimental – vingt ans de mariage, ça use, ça use… et professionnel – huit longues années que Josh tente de parachever son deuxième opus.
Ce vent de fraîcheur salvateur va s’incarner dans le chef de deux jeunes étudiants rencontrés par hasard, Jamie (cette bonne vieille tête à claques d’Adam Driver), apprenti documentariste, tiens, tiens… et Darbie (craquante Amanda Seyfried). Le coup de foudre amical est immédiat ; hypsterissimes – ils élèvent une poule dans leur loft et produisent leur propre glace, bohèmes, arty, sans aucune entrave, ceux-ci incarnent un élixir de jeunesse revigorant qui va remettre en question la vie pépère de Josh et Cornelia. Aveuglés par ce miroir générationnel, ceux-ci délaissent leurs amis, rachètent vinyls et patins à roulettes (le fameux recyclage nostalgico-poseur de tous les jeunes cools du monde occidental), partagent barbecues urbains et shopping vintage jusqu’au jour où Jarnac Josh, l’opportuniste, leur fera payer la cure de jouvence…
Déjà auteur du grandiose Frances Ha et du surprenant Greenberg (avec qui vous savez), Noah Baumbach s’attaque ici à un morceau quelque peu éculé mais ô combien jouissif pour qui sait s’y prendre : la comédie de mœurs new-yorkaise.
Succédant à Wilder et au maître Woody, Baumbach passe brillamment l’examen de passage : il trempe dans l’acide des dialogues souvent hilarants et truffés de références, use d’une drôlerie toujours finaude (la scène du week-end curatif chez un gourou new age est un pur chef-d’œuvre de comique de situation) pour produire une dénonciation géniale des affres de la génération arty accro à l’imagerie Fakebook, poseuse, qui roule sur un vélo à pignon fixe et mange sri-lankais. D’une écriture acérée, verbal sans jamais être verbeux, respectant parfaitement le niveau de langage de chacun, le réalisateur né à Brooklyn nous fait pénétrer dans ce microcosme artistique et mondain où tous les coups sont permis.
Sans avoir l’air d’y toucher, avec cette élégance délicieusement mélancolique dont il est désormais coutumier, il tresse, en sus, des interrogations essentielles qui touchent tout un chacun : parentalité, fuite du temps, passion qui s’érode, course à la célébrité, liens entre éthique et création artistique.
Cette dernière thématique est prépondérante et ancestrale : à travers son questionnement, le cinéaste interroge la fiction qui se déroule sous nos yeux et offre même, avec le discours de Leslie (Charles Grodin), père de Cornelia et pape du documentaire, un moment d’anthologie qui met en exergue une question existentielle : l’art doit-il dire la vérité ?
Cette symphonie toute sundancienne ne serait évidemment rien sans la partition ô combien juste et sensible de Ben Stiller. Attachant de maladresse, intègre, aimant, fragile, l’acteur de Mary à tout prix démontre – mais était-ce encore nécessaire ? – la panoplie du comédien chaplinesque qu’il est devenu.
Brillant mais modeste, caustique mais jamais blasé, tendre mais pas nigaud, bercé par les notes de James Murphy (monsieur LCD Soundsystem), While We’re Young s’impose paradoxalement comme la comédie de l’été en alliant intelligence, humour et réflexion. Rarissime…