Une atmosphère de spleen portée par une écriture somptueusement poétique et pourtant sans emphase, un univers habité d’absence, une petite prouesse stylistique qui donne corps au vide, un roman qui condense tout mais qui ne dit rien. Le premier roman de Samy Langeraert est une vraie pépite.
Ce petit roman de nonante-six pages peut se résumer en ceci : le narrateur, suite à une rupture amoureuse, s’exile un temps à Berlin et nous offre ses réflexions marquées au fer rouge par l’absence de l’être aimé.
On ne sait rien de lui, hormis qu’il vit de traductions et de cours de français, on ne sait rien de sa rupture, hormis qu’elle est « M. ». Il déambule dans la ville, un Berlin loin de son image de musée, loin de la fête et du rythme effréné de la métropole : elle est une toile de fond qui défile, lente, indifférente. Les scènes de vie se succèdent, le narrateur les observe, étranger au monde, à la fois vide de la présence de M. et paradoxalement rempli par son absence. Samy Langeraert y parle d’étirement du temps, du nuage permanent de la pensée qui tend vers l’autre qui s’intensifie, repart, réapparait, demeure omniprésent, parfois imprévisible dans ses apparitions et dans sa fulgurance :
Elle se présente alors à moi sous son jour le plus vif, le plus irrésistible, et je n’essaie pas de la déloger. Je ne fais que l’observer s’étirer tranquillement et investir le creux qu’elle s’est choisi jusqu’à ce qu’elle se fatigue d’elle-même de cet endroit si étriqué, si peu fertile, et se replie pour s’éclipser jusqu’à l’apparition suivante.
L’écriture est fragmentée, faite de tableaux, vivants malgré tout mais contaminés par l’inertie du narrateur, imperméable à la vie qui l’entoure, hermétique à toute autre sensation que celle créée par le vide et l’absence. Le temps s’allonge, s’enroule, on s’interroge sur sa vacuité, son rythme insignifiant organisé par la banalité des répétitions : manger, dormir, s’éveiller, se laver, travailler. L’absence d’interaction isole la voix du narrateur, le contraint de demeurer à la lisière du réel, à un statut de spectateur inerte et passif, blessé. Son attention se reporte sur les détails de cette parenthèse étrangère dont l’éclosion du printemps le ramènera à la vie, et à Paris.
Peu de romans plongent si bien dans le sentiment de vacuité que creuse une rupture. Le style de Langeraert est à la fois poétique et contemplatif ; peu emprunté, il parle aux tripes et aux sentiments, possède la force de renvoyer le lecteur au plus profond de son expérience, à ce qu’il y a de plus douloureux, par l’effleurement des mots et sans fioritures. La banalité de ces sentiments, de cette situation, pourrait faire basculer le roman dans une forme de sentimentalisme sans attrait, mais c’est l’universalité de ceux-ci qui transpire et s’imprime chez le lecteur. Rendu avec une plume si sensible, le motif valait bien la peine qu’on s’y attarde encore cette fois, étonnamment équilibré par la justesse du style.