Nosferatu contre Dracula. Qui des deux vampires méritent l’Oscar ? Voilà un choix cornélien auquel l’écrivain et cinéaste belge Olivier Smolders a tenté de de répondre. Un défi de taille lorsqu’on connaît les deux personnages : Nosferatu et Dracula. Et le moins que l’on puisse dire est qu’il le réussit avec brio dans un essai truffé de références et de subtilités.
Cinéaste avant tout, c’est sous plusieurs angles que Smolders s’intéresse à l’évolution du mythe vampirique. Tantôt avec une casquette d’historien et de chercheur, tantôt avec l’œil avisé du cinéaste. L’essai est divisé en plusieurs parties : construction du mythe, littérature et cinéma.
À travers le temps…
Le mythe du vampire ne date pas d’hier. Dans cet essai, Smolders brasse plusieurs époques. Depuis les récits bibliques fondateurs au Moyen-Âge en passant par le siècle des Lumières, on en apprend des choses, étonnantes bien souvent. Chaque époque a permis de renforcer cette image bien ancrée du buveur de sang que nous connaissons aujourd’hui. Les récits bibliques montraient déjà une certaine image du mal. Mais tout commence vraiment au Moyen-Âge, époque où l’on enterrait les corps directement sous terre sans inhumations. Ne disposant pas des techniques scientifiques actuelles pour évaluer l’état de mort d’un patient,
il arrivait alors parfois que des personnes soient enterrées vivantes. Les présumés « morts » qui ne l’étaient pas sortaient alors de terre, assoiffés de sang et chair paraît-il, d’où le mythe de morts vivants. Mais finalement, à supposer qu’ils étaient morts vivants, étaient-ils esprit ou corps ? Voltaire ironise d’ailleurs : « Les vrais vampires ce sont les moines et les hommes de pouvoir qui exploitent la crédulité des petites gens. » L’auteur fait également un travail de fond sur l’étymologie de l’appellation « vampire ».
De la prose au cinéma…
Goethe, Shelley, Stoker : tous ont un point commun, ils parlent de monstres et pas de n’importe quelle manière. L’aspect physique joue son rôle. Le vampire n’a pas toujours été cet être fin et raffiné. C’est avec Polidori que toute l’importance du physique prend se place. Le vampire Lord Ruthven est un don Juan séduisant, qui use de ses charmes pour séduire les jeunes femmes et les mordre ensuite. Il est représenté comme un aristocrate pervers, doué de pouvoirs surnaturels. Il y a dans la morsure un acte sensuel et de soumission. Mais le vampire peut aussi être une vampiresse ; un séducteur, une séductrice. Carmilla de Le Fanu (1872) l’illustre très bien dans son roman.
Dans un château de la lointaine Styrie, au début du XIXe siècle, vit une jeune fille solitaire et maladive. Lorsque surgit d’un attelage accidenté près du vieux pont gothique la silhouette ravissante de Carmilla, une vie nouvelle commence pour l’héroïne. Une étrange maladie se répand dans la région, tandis qu’une inquiétante torpeur s’empare de celle qui bientôt ne peut plus résister à la séduction de Carmilla… Un amour ineffable grandit entre les deux créatures, la prédatrice et sa proie.
C’est Bram Stoker qui, avec Dracula (1897), brisera tous soupçons sur l’ambivalence sexuelle du vampire en le masculinisant. Il existe cependant encore des vampiresses mais alors reléguées au second plan. L’idée de rang social s’est également établi avec le temps. Le vampire est désormais un être noble et aristocrate.
Quid du cinéma ? Dracula, la super star…
Mais c’est surtout sous l’œil aiguisé du cinéaste que le Belge excelle. C’est en passant de Dreyer à la Hammer ou encore par l’indémodable Nosferatu (1922) de F.W. Murnau qu’on sent/découvre son amour pour cinéma et le personnage qu’est le vampire. Pour lui, Nosferatu reste LE film phare. C’est simple : on ne s’en lassera jamais, tant pour le jeu d’expressions que pour la gestuelle qui fascine. Une oeuvre avant tout esthétique, puisque Murnau joue avec les ombres et les lumières (le film étant en noir et blanc) donnant ainsi l’impression d’ombres chinoises. En ce qui concerne le contenu du cinéaste allemand, il reste fidèle au récit de Stoker. En effet, Murnau n’avait pas eu les droits sur le livre de celui-ci. Seul le titre change mais l’histoire reste la même.
Dreyer, de son côté, fort critiqué pour son adaptation, accentue le côté fantastique du personnage. Avec une trame pas toujours évidente, il se détache de la version de Stoker pour la rendre plus accessible au grand public. Pour Smolders, en devenant trop accessible, trop évident, on perd toute la sensibilité de l’œuvre. La Hammer quant à lui frise le grotesque avec des effets spéciaux à la limite du ridicule.
Un sentiment de surplus qui enlève finalement ce côté dangereux et intrigant que nous aimons tant. Et les films de mauvais goûts s’enchaînent au fil du temps.
Est-on encore dans une histoire de Dracula ? Sans doute, si l’on en juge par quelques-uns des motifs contractuels : les morsures, les cercueils, les balles en argent (…) mais le personnage a profondément changé de nature.
Loin du Dracula élégant et solitaire, c’est un personnage grotesque que les producteurs ont créé. Smolders conclut ainsi : « Il ne faut dès lors plus s’étonner de trouver le Maître dans un magasin de farces et attrapes. »
Dans cet essai paru aux Impressions nouvelles, Smolders offre une analyse pointilleuse et structurée. Très instructif, on perçoit tout le travail de recherches qui se cache derrière ces 124 pages de pur délice et de découvertes, jusqu’à la dernière goutte de sa plume. Une sorte de dialogue se tisse ainsi entre le lecteur et l’auteur, qui nous fait part de ses impressions souvent pertinentes. Il faut cependant avoir des connaissances de base ou y trouver le prétexte de regarder des classiques tel que le film expressionniste de Murnau.
On pense tout connaître sur le sujet, qu’à cela ne tienne, Smolders nous en apprend encore et toujours et on en redemande ! La soif (de connaissances) n’a pas de limite.