critique &
création culturelle

Odezenne

le kaléidoscope musical

Le trio parisien-bordelais Odezenne revient avec un troisième album, Dolziger Str.2 . Le temps de dix chansons, ils nous téléportent dans un monde désenchanté et alcoolisé où les frontières entre les genres ont été détruites, où le rap se mélange avec l’électro et le rock dans un cocktail hallucinatoire.

Les Français d’Odezenne avaient déjà fait parler d’eux avec leurs albums Sans Chantilly en 2008, OVNI en 2011 et avec leur très polémique Je veux te baiser aux paroles crues, qui véhiculait une image débridée de la sexualité juvénile. Le groupe, composé de deux MC et d’un musicien, vaguement apparenté à Fauve, à Diabologum ou à Cabadzi, reste impossible à classer dans un genre bien défini. Bien que les paroles soient le plus souvent rappées et que la liaison au monde du rap se montre fortement dans les concerts, des saveurs électro et de chanson française se retrouvent également dans cet album. Une preuve de la singularité de leur macédoine musicale est la guitare omniprésente qui accompagne le spoken word , aussi bien sur des beats électro ( Vilaine ) que dans des atmosphères planantes ( Vodka ).

Après une énorme tournée avec leur dernier disque OVNI , le groupe a décidé de changer d’air en louant un studio à Berlin. D’ailleurs, le titre atypique de l’album, Dolziger Str.2 , n’est autre que l’adresse de leur studio berlinois. Leur écriture psychédélique, qualifiée à juste titre de houellbecquienne par les Inrocks , garde comme sujet de prédilection l’alcool, le sexe, la folie. Dès les premières secondes de la première chanson ( Un corps à prendre ), l’avalanche de paroles nous emmène dans leur univers désabusé, spleenétique, où la vie se résume en une longue gueule de bois. « C’est un machin, j’y suis perdu. Comment on fait pour mes cendres ? Ciao pantin, j’ai trop bu. Comment on fait pour descendre ? » Comme avec Je veux te baiser , Odezenne ouvre grand les bras au scandale avec Bouche à lèvres , véritable hymne au cunnilingus. Le clip se présente comme un dessin animé où les images tremblent selon le beat. Il met en scène avec une troublante sincérité des ébats sexuels avec des gros plans et sans aucune censure.

L’alcool, dont les effets se sentent tout au long de l’album, est le thème de la chanson Vodka , lointaine cousine de I’m Waiting for the Man des Velvet Underground, une ballade hypnotique, ode au binge drinking . « Je veux de la vodka dans un gros tonneau, attaquer mon foie au chalumeau. » L’ivresse se retrouve aussi dans le clip de Vilaine et ses T-shirts sales, son squat glauque, ses jeux optiques et son déséquilibre kaléidoscopique.

Chez Odezenne, l’indépendance est liée à l’essence même du groupe. Dès leurs débuts, ils ont été érigés en symbole du DIY ( Do It Yourself ), avec des concerts sur mesure où le public choisit à l’avance les chansons, avec leur propre label Universeul (jeux de mot critique sur le géant du disque Universal). Leur proximité avec le public est même allée jusqu’à demander à des fans de les aider à découper une porte de leur studio berlinois pour en placer un petit morceau dans chaque album de l’édition de luxe (ce qui leur a pris des jours de travail).

Cette année 2015 se finit donc avec un album d’Odezenne plus mélodique que les deux précédents mais toujours dans une poésie sombre et désenchantée. Ce trio indépendant n’a décidément pas fini de nous surprendre dans sa recherche de musicalité pure, loin des multinationales car, comme ils le disaient en 2011, « l’industrie du disque, ça reste l’industrie ».

Fin de la conversation.

Même rédacteur·ice :

Odezenne
Dolziger Str.2
Tôt ou tard, 2015