On y revient…
Qu’elles soient anciennes ou plus récentes, il n’est jamais trop tard pour parler d’œuvres qui nous ont marqués. Le feuilleton
Qu’elles soient anciennes ou plus récentes, il n’est jamais trop tard pour parler d’œuvres qui nous ont marqués. Le feuilleton
On y revient…s’y consacre. Aujourd’hui, Jimmy Wodon nous parle d’un film hors normes,
American Splendorde Shari Springer Berman et Robert Pulcini.
Handicapé émotionnel, pauvre type névrotique à moitié chauve et hypocondriaque sans le sou, Harvey Pekar (humain, trop humain Paul Giametti) mène, ou plutôt subit une existence des plus monotones ; archiviste dans les sous-sols poussiéreux de l’hôpital public de Cleveland, il traîne sa sempiternelle dépression au milieu de ses collègues nerds , de ses multiples prises de bec avec sa femme Joyce, mélange improbable entre Daria l’intello de MTV et Véra de Scooby Doo , et de disques de jazz, dont il est un collectionneur compulsif. Cette vie grise et absurde reprend soudainement des couleurs quand ses scénarios férocement autobiographiques, esquissés pendant ses innombrables heures de glande au boulot, se matérialisent sous les crayons de Gary Dumm, Robert Crumb, Gerry Shamray, Greg Budgett ou encore Kevin Browne et qu’enfin, le succès pointe le bout de son nez !
Adapté du roman graphique éponyme [1] tiré de la vie du véritable Harvey Pekar, le biopic des deux documentaristes Shari Springer Berman et Robert Pulcini parvient à retranscrire parfaitement le fatras identitaire du antihéros ; kaléidoscope bordélique regroupant divers supports (vignettes de BD, passage du véritable Pekar au mythique Late Night de David Letterman ou franchissement du fameux quatrième mur), et naviguant sans cesse entre bio filmée et documentaire pur, le film garde pourtant le cap de l’élégance formelle en restant cohérent.
Commenté par Harvey Pekar himself , lequel apparaît sous quatre formes différentes (il FAUT voir le film pour comprendre), American Splendor , sous les dehors d’une nonchalance brouillonne et débridée, nous donne une leçon sur ce qu’est la triviale complexité de la vie, les incessantes angoisses existentielles en découlant, et un mode de vie voué coûte que coûte à la contre-culture.
Grand prix du festival de Sundance en 2003, le film, chantre de l’esprit indie des années 1970 aux États-Unis, est un pionnier follement original et retranscrit à merveille l’esprit du roman graphique qui ouvrira la voie de la BD autobiographique à des auteurs comme Joe Matt, Adrian Tomine ou Daniel Clowes. Portrait des plus attachants d’un loser magnifique, American Splendor taille un costard avec une infinie tendresse à un individu, une ville, un pays et une époque, conscients et presque fiers de ses innombrables fêlures dans un délicieux comic de situation.
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[1] Anthologie hautement recommandée et éditée en trois volumes chez DC Comics en VO (1976-2008) et chez Cà et là pour la VF.