Oui, Bourdieu était à Charleroi !
L’Eden propose depuis peu « les petits déj’ socio » : un cycle de conférences pour questionner en toute convivialité les pratiques culturelles. Depuis L’amour de l’art de Pierre Bourdieu et Alain Darbel (1969), la sociologie s’intéresse à l’art, source de distinction et de reproduction des inégalités sociales.
C’est en toute décontraction, dans la grande et belle cafétéria de L’Eden que Benoît Dussart, maître assistant en sociologie à la Haute École Condorcet, nous a proposé
une lecture joyeusement décousue du modèle de Bourdieupour décoder les enjeux idéologiques et politiques de la culture à Charleroi et ailleurs. Ses explications magistrales, tableau et écran à l’appui et les vifs échanges de questions-réponses ont contribué à distiller dans l’assemblée un gai-savoir stimulant.
Benoît Dussart s’appuyant sur la pensée de Bourdieu interroge les pratiques culturelles comme un instrument de domination au service du pouvoir. Il questionne la culture légitime qui participe à l’idéologie du pouvoir en place. Ainsi, même si il y a un arbitraire dans l’art, il n’est jamais tout à fait gratuit. Et de nous donner des exemples sur la ville de Charleroi.
Depuis peu, Charleroi s’est dotée d’un nouveau logo et d’une nouvelle identité graphique. Une projection nous fait voir un logo rouge ultra épuré avec une seule lettre, la lettre C surplombée d’une couronne faisant ainsi référence à Charleroi mais également au terril et à la crête d’un coq. Ce logo a été créé par le célèbre studio Pam&Jenny et aurait coûté 48000€. Il participe par conséquent à la mise en place d’une communication branchée de Charleroi via un design contemporain.
La population quant à elle n’a pas été consultée sur le choix de cette nouvelle image de la ville. Quelqu’un s’interroge sur les effets négatifs de cette décision politique et réaffirme l’importance de la consultation populaire. En effet, la plupart des habitants ne se retrouvent pas dans l’esthétique de ce logo . Les nombreux commentaires sur Facebook projetés dans la salle en attestent. Certains Carolos contestent le prix excessif et ne comprennent pas la valeur artistique de ce logo jugé trop minimaliste. À l’inverse, ceux qui s’y retrouvent ont intégré assez de codes artistiques pour en percevoir la valeur.
Selon la grille de lecture de Bourdieu, le pouvoir s’est emparé d’une esthétique empruntée à l’art contemporain pour accroître son capital symbolique. Charleroi a cherché littéralement à se redorer le blason en cherchant une image qui parle à l’élite sociale. Quelqu’un dans l’assemblée soulève aussi qu’il y a sans doute des enjeux économiques inavoués derrière ce logo, ceux d’attirer de potentiels investisseurs venant d’ailleurs.
Le « petit déj’ » s’est terminé par la critique de ce modèle bourdieusien. Peut-on interroger l’art autrement que comme un instrument de domination, notamment comme un levier d’émancipation ? L’individu est-il capable de faire des choix au-delà de son appartenance à un milieu ? Que fait Bourdieu de la culture populaire, confinée pour lui dans le champ de l’anthropologie ?
L’intérêt de cette formule pour moi réside dans le fait de rendre accessibles des concepts sociologiques offrant des clés pour décoder les pratiques culturelles.
Les exemples pris dans l’actualité donnent vraiment corps à la sociologie.
Ils donnent aussi le goût de lire (ou relire) Bourdieu et de multiplier nos outils critiques pour interroger le monde. Les prochains « petits déj’ socio » sont programmés les 28 mars et 25 avril à 10h. On y sera…
Plus d’infos sur les « petits déj’ socio »
Vers des lectures possibles…
Pierre Bourdieu,
La distinction : critique sociale du jugement,
Les Éditions de Minuit, 1979
Pierre Bourdieu et Alain Darbel,
L’amour de l’art, Les musées d’art européens et leur public
, Les Éditions de Minuit, 1969.
Pierre Bourdieu,
Homo academicus
, Paris, Les Éditions de Minuit, 1984.
Pierre Bourdieu,
Ce que parler veut dire : l’économie des échanges linguistiques
, Paris, Fayard, 1982.