Avec Passagers , Ludovic Flamant et Jeroen Hollander créent ensemble un livre du vide et du plein, une ouverture tendre vers l’imaginaire.
Passagers est un petit livre de moins de cinquante pages, relativement discret, de prime abord sans réelles prétentions. Paru en 2018 chez Esperluète, il associe un texte de Ludovic Flamant à une dizaine de dessins de Jeroen Hollander. Il y a quelque chose de fabuleux dans ce livre ; une tendresse, une douceur et une approche poétique du vrai, pas du crédible mais du vrai. Ludovic Flamant, plus connu pour son travail d’écrivain jeunesse ( Il était mille fois , les Poupées c’est pour les filles ), utilise ses talents de narrateur pour enchanter le quotidien. Jeroen Hollander compose des cartes de villes imaginaires représentées par leurs axes de communication, trains, bus, routes…
Ce sont presque des portraits, presque des rêves aussi, de gens dans le métro, pas décrits mais racontés. Ce sont des regards qui se croisent ou pas, des gestes anodins, des détails sans importance, des situations si infimes qu’elles n’existent presque qu’entre les mots de l’écrivain. Les textes de Ludovic Flamant ont été imaginés dans le métro et se présentent comme de courts poèmes en prose à la découpe minutieuse. Chaque passage à la ligne est signifiant, chaque signe de ponctuation prend une importance capitale. Il y a dans la prose de Ludovic Flamant une économie, une retenue, une envie de trouver le mot juste. Chacun de ses poèmes contient une histoire complète, un récit touchant ou drôle. C’est un voyage immobile que nous propose le poète. À ce fantasme, Jeroen répond par une cartographie imaginaire.
Les éditions Esperluète ont su proposer une rencontre pertinente entre deux artistes, chose souvent difficile. Ludovic Flamant et Jeroen Hollander construisent des mondes imaginaires à partir d’éléments simples, banals, extraits du réel, des lignes et des chiffres pour Jeroen et des mots pour Ludovic. Passagers fonctionne comme une ouverture, on peut penser aux Villes Invisibles d’Italo Calvino, une étendue extrêmement vaste perçue à travers un prisme infime. Il y a aussi quelque chose de photographique dans ce livre, des choix de cadrages et surtout de hors cadres prodigieux, des flous, des mises au point sur un détail au détriment du décor, des arrêts dans le temps.
Elle porte
un jardin complet sur ses genoux
et dans ses mains en coupe, on pourrait
mettre un peu d’eau peut-être.
Sans doute faut-il aller chercher du côté de Francis Ponge pour suivre la généalogie de Passagers , lire et relire la poésie objectiviste, apprécier les choses simples. C’est un livre que je recommande à ceux qui aiment la poésie du normal, la beauté d’un geste éphémère, à tous ceux qui voyagent dans les livres, à tous ceux qui se perdent dans l’interstice entre les lignes.