Avec Pazea Sovni , publié aux éditions Yellow Now, l’artiste belge Clyde Lepage signe un carnet de voyage étonnant en terres wallonnes.
Ce défilement incessant d’images m’hypnotisait. Je me droguais à la vue de ce travelling sans fin, celui de mon propre road-movie. J’y projetais mes fantasmes d’une autre vie, qui aurait eu pour cadre ces innombrables décors éphémères .
Dans cette première monographie, la photographe Clyde Lepage passe de l’autre côté du paysage, celui dont elle a tant regardé défiler l’horizon, enfant, derrière les vitres de la voiture familiale.
Pazea Sovni (« sentier », « souvenir » en wallon) est le « documentaire subjectif » d’un territoire, d’un berceau. Il donne à voir les racines tortueuses qui lient l’artiste à sa région natale. Plus aucun doute ne subsiste sur les berges de la Meuse : « Il s'y passe autre chose. »
À mi-chemin entre réalité et fiction, se révèle une Wallonie à la fantasmagorie insoupçonnée. Une galerie de personnages semble se promener au bois, comme autant d’incarnations des arcanes d’un tarot dont Lepage abattrait les cartes. Apparitions modernes des enfants perdus de J.M. Barrie, silhouettes dignes des polars ardennais, ces rencontres en Belgique profonde sont sauvages, inquiétantes, voire sinistres.
En effet, l'œil de la jeune photographe semble irrésistiblement attiré par les présences habitées. L’inquiétante étrangeté de ses portraits, réalisés au moyen-format, rappelle d’ailleurs l’héritage photographique laissé par l’iconique américaine Diane Arbus.
Si le mystère des protagonistes de Pazea Sovni , qui regardent le lecteur sans ciller, dérange parfois, Clyde Lepage ne cède pas à la facilité du voyeurisme. La tendresse de la photographe pour ses sujets est, au contraire, palpable. Les couleurs, délavées, apaisent les images d’un charme presque suranné.
Oscillant entre conte et fresque sociale, Pazea Sovni , d’abord exposé sous le titre Perspectives tracées aux Abattoirs de Bomel, reste cependant amarré au quai du documentaire avec des architectures qui déforcent de puissants portraits et natures mortes empreints de fantastique. Parti-pris nostalgique oblige.
À la dernière page, l’image d’un homme s’en retournant dans les ténèbres de la forêt résonne comme une invitation à partir à sa suite. Une première publication plus que prometteu se.