Dans Petit Pays de Gaël Faye, le lecteur visite le Burundi de 1993 à travers les yeux de Gabriel, âgé de dix ans. L’année se déroule sous les meilleurs auspices jusqu’à ce que les premières élections aux allures démocratiques fassent basculer le quotidien de Gaby et sonnent le glas de son enfance prospère.
Gaël Faye, artiste franco-rwandais né à Bujumbura le 6 août 1982, possède de multiples casquettes. Il est auteur-compositeur-interprète et écrivain. La guerre civile de 1993 au Burundi couplée au génocide des Tutsis au Rwanda l’année suivante, lui firent quitter sa terre natale pour rejoindre la France. Après des études en école de commerce et un Master en finances, le jeune Gaël quitte l’Hexagone pour travailler à Londres où il ne reste pas longtemps : sa passion pour l’écriture et la musique l’a emporté sur les chiffres. En 2010, il sort son premier album en duo avec Edgar Sekloka, avec qui il formait alors le groupe Milk Coffee and Sugar . Jouissant d’une visibilité grandissante, l’artiste franco-rwandais sort son premier album solo Pili pili sur un croissant au beurre en 2013. Selon Gaël Faye, le rappeur Oxmo Puccino avait la primeur de l’écoute dudit album. Oxmo lui a avoué « qu’il y avait trop de mots ». C’est cette déclaration qui a donné l’impulsion à Gaël de poser sa pléthore de lettres sur les pages d’un livre et pas n’importe lequel. En effet, si on ne peut s’empêcher de faire le rapprochement entre le jeune Gabriel et l’auteur, c’est parce que Petit Pays est un roman partiellement autobiographique.
Nostalgie. Il s’agit certainement du mot qui a résonné en Gaël Faye lors de l’écriture de son premier roman. Il redevient l’enfant qu’il était pour parler de son « petit pays » et le fait visiter à travers les yeux innocents de Gabriel. Les descriptions des paysages arborés de bougainvilliers, du sucre des mangues ou encore du rythme des journées sont tellement précises qu’elles sont capables de faire découvrir l’Afrique au lecteur qui n’y est jamais allé ou peuvent raviver des souvenirs à celui qui a eu la chance de la visiter. Les expressions des personnages et leur gestuelle corroborent cette volonté de faire voyager.
« Chaque fois que les jumeaux juraient, ils disaient ‘Au nom de Dieu’ et glissaient un doigt sur leur cou comme le couteau qui égorge le poulet, concluant le geste par un claquement de doigts dans l’air, pouce contre index, clac ! »
Lorsque la guerre civile éclate, la vie de Gabriel bascule et le petit garçon qui vivait une enfance de rêve se réveille dans un cauchemar. Malgré les jours de ville morte, les pillages, les bombardements ou encore les crimes, la plume de Faye conte de manière bluffante, car avec douceur, comment les Burundais se sont habitués à la situation.
« Alors qu’on se chamaillait, on entendait au loin, dans les collines, des tirs de blindés AMX-10. Avec le temps, j’avais appris à reconnaître leurs notes sur la portée musicale de la guerre qui nous entourait. Certains soirs, le bruit des armes se confondait avec le chant des oiseaux ou l’appel du muezzin, et il m’arrivait de trouver beau cet étrange univers sonore, oubliant complètement qui j’étais. »
Le lecteur fait donc face à un oxymore ; malgré leur tendresse, les mots sous ses yeux dépeignent une réalité cruelle. C’est comme si l’auteur était également un peintre capable de mettre des couleurs pastel sur un tableau qui devrait, pourtant, être sombre.
Tout comme Gaël Faye, Gabriel a un père français et une mère tutsi d’origine rwandaise qui s’est réfugiée au Burundi. Après avoir vécu de belles années à Bujumbura, la guerre civile le force à vivre en France. Il est indéniable qu’un jeune garçon ne peut ressortir indemne d’un tel chamboulement. Un problème identitaire se ressent dès les premières lignes du roman.
« Je n’habite plus nulle part. Habiter signifie se fondre charnellement dans la topographie d’un lieu, l’anfractuosité de l’environnement. Ici, rien de tout ça. Je ne fais que passer. Je loge. Je crèche. Je squatte. Ma cité est dortoir et fonctionnelle. »
Dans sa chanson Petit Pays , l’auteur qui a revêtu sa casquette de rappeur, personnifie le Burundi et lui déclare ceci : « J’ai gribouillé des textes pour m’expliquer mes peines. Bujumbura, t’es ma luciole dans mon errance européenne. » Le traumatisme est inévitable mais Gaël Faye l’a, visiblement, transformé en art. La complémentarité des formats exploités par l’artiste permet à celui qui l’écoute et qui le lit de mieux le comprendre.