PREMIERE
À notre entrée, ils sont déjà là. Figés dans des postures de mannequins de grand magasin. Coincés entre deux murs d’éclairages qui les consument et ne leur laisse aucune ombre pour s’abriter. Posés sur un plateau désert, ils sont vulnérables et pourtant aux aguets, les muscles tendus et le regard aiguisé.
Puis, les performeurs évoluent par à-coups, comme des insectes myopes, tétanisés par notre présence. Certains plantent leur regard dans le nôtre, à la recherche d’un début de contact. Cinq corps, cinq solos, à tâtons sous l’écrasante lumière. Leurs chaussures en cuir raclent péniblement le tapis de danse. Leurs avant-bras cherchent des appuis. Nous assistons à de longues et lentes torsions, ponctuées par des périodes de repos ou d’observation. Dans leurs costumes années 1980, ils prennent la « pause ». Ils se veulent faussement « cools », « dignes » ou tout en force, mais des craquelures trahissent leur impatience. Derrière leurs visages inexpressifs, on ressent comme un appel. Sont-ils encore humains ? Notre empathie est questionnée.
Maria Hassabi, chorégraphe d’origine chypriote, travaille à New York où elle a présenté PREMIERE en novembre dernier. Et l’on se plaît à voir dans cette lente performance un contrepoint à l’hyperactivité de la ville qui ne dort jamais. Maria Hassabi est connue en Flandre pour ses prestations au Guggenheim d’Anvers, au Singel ou lors de sa résidence au KaaiTheater, où elle avait créé l’année passée son précédent spectacle, Counterrelief .
Hassabi expose des corps tout droit sortis d’une expo d’art hyperréaliste. Elle interroge notre rapport à l’apparence et à la monstration, à la manière de ces tableaux qui imitent des photos (Chuck Close), ou des moulages en latex d’êtres humains de Ron Mueck ou Duane Hanson, lequel déclare à propos de son travail : « Je ne copie pas la vie, je dresse le bilan des valeurs humaines. »
Dans PREMIERE , la lenteur est une sorte de souffrance-performance. Les danseurs exposent leur stress sous la combustion des projecteurs ou d’une brûlure intime. Mais il s’agit aussi d’une revendication. Le temps suspendu est une invitation à reconsidérer notre rapport à l’image immobile (l’est-elle vraiment ?). Nous vivons une expérience contemplative et hypnotique. Si l’art peut toucher à quelque chose d’existentiel, c’est par son rapport avec la mort. La radicalité d’Hassabi, qui peut déplaire ou décontenancer, exige du spectateur, immobile sur sa chaise, d’aller chercher en lui sa part de vanité mais aussi d’ouverture à des micro-moments de vie. Certains, à cause de ces corps englués et glaçants, pourraient y voir une métaphore de l’incommunicabilité, de l’incapacité au lâcher-prise. D’autres, une invitation à la compassion, à d’émouvantes, et parfois désespérées, tentatives de communication avec le monde speedé des vivants.
LIENS EXTERNES :
1. Maria Hassabi avec Robert Steijn, dans une chorégraphie qui rappelle PREMIERE
2. Duane Hanson, à voir au musée d’Ixelles jusqu’au 25 mai 2014.
Maria Hassabi
PREMIERE
Danse
75’
Les 3, 4 et 5 mai à 20 h 30 au Kaaitheater, 20 square Sainctelette, 1000 Bruxelles.
Réservations :
www.kfda.be/fr
Billetterie : Cinéma Marivaux ouverte de midi à 19 heures.
98 boul.
Adolphe Max, 1000 Bruxelles
T +32 (0) 70 222 199