Quand je serai dictateur ?
La vie est-elle une comédie ? L’amour est-il immuable ? La réalisatrice belge Yaël André nous a fourni un travail de titan en termes de montage pour stimuler notre imaginaire et décupler l’envie de saisir toutes les chances de changer le cours de notre vie !
La réalisatrice documentariste belge Yaël André est une réalisatrice confirmée qui en est à sa quatrième œuvre. Pour ceux qui ne la connaissent pas, elle a débuté sa carrière cinématographique en 1998 par un documentaire noir et blanc qui s’intitule Les Histoires d’amour sur le thème d’un condensé de déclarations d’amour. En 2003, elle a produit un moyen métrage de fiction de 38 minutes Les Filles en Orange qui est une relecture débridée de la condition féminine.
En 2003, elle est aussi l’auteur d’un documentaire de trente-six minutes intitulé Bureau des inventaires systématiques de la mémoire produit pour une exposition d’art contemporain. Elle aborde tous les rôles sociaux existant autour d’une piscine… On ne peut plus minimaliste !
Son film précédent, Chats errants , un documentaire sur les chats errants et les dames à chats , est une fresque des terrains vagues de Bruxelles, Hambourg et Rome sur le plan technique : elle y mélange déjà les images à caractère documentaire et les commentaires philosophiques. Un film qui se révèle être un festival d’ironie et d’humour et remportera quelques prix au passage.
Quand je serai dictateur , son premier vrai long métrage
Cette fois, la réalisatrice a bâti son œuvre sur plusieurs centaines de petits films amateurs en 8 mm et en Super 8 pour construire un récit.
Faire ce film a été un travail de fou : nous avons rassemblé, compilé, nettoyé, numérisé, encodé puis archivé des centaines de films amateurs et Super 8. Une fois ces images numérisées, nous les avons triées en une centaine de critères pour pouvoir les monter selon notre récit… Mais surtout, nous avons été éclairés tout au long du processus par la chaleur et la beauté de ces images qui sont tout à la fois totalement familières et absolument étranges.
Le film amateur est magnifiquement mis en valeur car il met en avant une pureté et une absence d’arrière-pensées. Ils ont, selon la réalisatrice, une « puissance d’identification et alimentent une sorte de vaste mémoire commune ».
Un scénario original
Le point de départ est classique : un jeune homme, Georges, et une jeune femme, la narratrice de l’histoire, quittent l’adolescence pour construire une relation dans un monde dont les limites ne leur plaisent pas. Leur imaginaire va démultiplier les limites de leur idylle. Cependant la jeune femme part à l’étranger et lorsqu’elle revient, elle apprend que son amour est interné en hôpital psychiatrique. Elle va le rencontrer mais il ne réagit pas. Il finit par se suicider.
Ce n’est pas la mort physique qui va les séparer ! Leur amour peut continuer à s’exprimer dans des mondes imaginaires ! L’important, c’est d’exister dans l’esprit du survivant ! L’utopie de l’amour est au pouvoir, mêlant passé et présent, futur ! Tout est possible !
Une technique narrative sortant des sentiers battus
Au fil des chapitres du film, le spectateur bascule sans cesse entre la rationalité et l’irrationalité, mais aussi entre la vie et la mort. En usant d’une voix off , Yaël André mélange les images belges et étrangères, les époques et les univers pour nous interroger sur les causes de l’échec de la vie, mais aussi sur les conditions de sa réussite.
Elle passe des images noir et blanc à la couleur, de la raison à la folie narrative pour nous monter les oscillations qui existent entre la vie et la mort. Elle interroge le spectateur sur des notions aussi existentielles que le bonheur et sur le sens de la vie, sur le sens de l’histoire de l’humanité. Le spectateur est interpellé par le décalage qui existe parfois entre le texte et les images proposées ! Yaël André défie la logique au profit d’une imagination fantasmagorique débridée proche de la poésie pure. En témoigne la richesse de la bande-son qui apporte beaucoup de douceur et de rêverie au spectateur. Nous sommes transportés dans cette imagination débordante servie par les compositions d’Hughues Maréchal, la voix de Laurence Vielle et l’ensemble du travail de montage sonore réalisé par Luc Plantier, Sabrina Calmels, Julie Brenta, Frédéric Fichefet et Manu de Boissieu.
Une cinéaste rebelle par certains aspects ?
La cinéaste insère parfois dans son récit quelques pied-de-nez aux valeurs de l’éducation bourgeoise et au diktat de l’audience imposée par les grands studios américains. Trop superficiellement à notre gout mais ce n’est pas l’objectif de son film.
Elle conclut son récit par une interrogation de type métaphysique par rapport au destin de l’humanité : et s’il était possible de rembobiner l’histoire ? Serai-je un dictateur, serai-je aussi déterministe que Dieu ? Documentaire, fiction, analyse sociologique, histoire d’amour débridée ?
Quand je serai dictateur
est un condensé de tous ces styles mais aucun d’entre eux spécifiquement. Un feu d’artifice de ce que peut être le pouvoir de l’imagination et du rêve au service du cinéma.