Un thriller théâtral, une implication du spectateur dans la trame, un jeu entre fiction et réalité, une belle démonstration scénographique… Quartier 3 , destruction totale a tous les ingrédients pour être un spectacle d’exception, mais il se présente davantage comme une proposition intéressante.
L’histoire se passe dans un quartier résidentiel américain assez chic, formé essentiellement par des familles d’une classe sociale élevée. Les parents qui y habitent sont de plus en plus inquiets car leurs enfants adolescents ne sortent plus de leur chambre, ne mangent pas, ne parlent pas. La raison ? Ils sont « accros » à un nouveau jeu vidéo,
Quartier 3, destruction totale, qui se joue en ligne avec d’autres joueurs et dont le but premier est de massacrer des zombies. Le jeu se déroule dans un décor étrangement familier, très semblable à leur propre quartier. D’ailleurs, les zombies, eux, ressemblent vachement à leurs parents…
Dès le début et jusqu’à la fin, j’ai été partagée entre la fascination et le scepticisme. Il est évident que la mise en scène cherche à imiter l’esthétique des jeux vidéo, notamment grâce à la scénographie et au travail numérique. Un écran s’interpose entre les comédiens et les spectateurs. Le décor y est projeté, des captations de maisons de quartier vues de l’extérieur, des arbres… Des images qui ne restent pas fixes mais filmées en temps réel, dans un léger mouvement de zoom. L’éclairage, assez artificiel, vient compléter l’ensemble. Face à ce traitement de l’image, très attirant, le jeu des acteurs m’a laissée un peu perplexe. Ils sont statiques, de face ou de profil, et leur dialogue ressemble à l’imitation d’un doublage de film américain de série B. Le texte est plat, les personnages sont peu naturels. Ça refroidit malheureusement le spectateur et l’éloigne du spectacle.
Il se pourrait que ce choix du metteur en scène, Olivier Boudon, réponde à la volonté de poser une ambiguïté entre histoire virtuelle et réelle, mais cela ne reste pas clair. Nous sommes en effet constamment perdus entre les différents récits : est-on dans le jeu ou dans ce qui semble être une réalité ? Nous verrons apparaître entre chaque scène une interface avec des instructions pour évoluer dans l’action ; en guise de fond visuel, une vue en plongée sur le quartier. De plus en plus, les éléments ou les situations cités dans les dialogues rappellent ce qui est formulé dans le jeu, ce qui alimente cette porosité entre réalité et fiction. Les personnages parlent sans cesse de « Quartier 3 » et ils y jouent, mais leurs actions virtuelles semblent avoir des conséquences sur la réalité. Cette ambiguïté pousse le spectateur à adopter un rôle actif : il est amené à devoir démêler les secrets de l’histoire.
L’immersion du spectateur dans la trame est à mon avis l’aspect le plus réussi de cette mise en scène. La scénographie et l’activation du spectateur jouent un rôle important, mais le traitement de la peur est essentiel également. Ainsi, ce qui, au début, peut être perçu comme un léger malaise évoluera en une tension dramatique propre au thriller. D’ailleurs, le texte de Jennifer Haley s’alimente de cette crainte, cette peur des parents qui, confrontés aux jeux vidéo et aux nouvelles technologies, craignent que leurs enfants ne soient devenus « accros ».
Néanmoins, cette mise en scène de la violence et de l’anxiété noie une autre problématique qui, à mon sens, mériterait d’être plus visible : cette situation est à l’origine d’un problème de communication entre parents et adolescents, une barrière générationnelle que les adultes tentent maladroitement de détruire. Ils vont facilement associer le jeu à la drogue et assumer que le problème vient exclusivement de leurs enfants. Cependant, les parents, eux, ne constituent pas un modèle de comportement : ils ont une addiction à l’alcool ou aux médicaments, ils négligent leurs enfants, ils ne s’entendent pas entre voisins… L’ambiance de ce quartier semble tout aussi pourrie que celle de « Quartier 3 »…
La pièce tente de traiter cette question de la communication entre parents et ados en prenant les jeux vidéo pour prétexte. Cependant, le jeu des acteurs est superficiel, tandis que le traitement de la peur et la violence engendrées par les jeux vidéo est poussé à l’extrême. Voilà la raison, à mon sens, pour laquelle nous ne relevons que cet aspect-là du problème.
Bien que l’immersion du spectateur soit primordiale, il est pourtant difficile pour lui de rester actif tout au long du spectacle. De la même façon que nous sommes tirés vers le centre, nous sommes aussi repoussés vers l’extérieur. Nous comprenons vite que jeu et réalité ne font qu’un, plus vite d’ailleurs que les personnages. Les indices qui accompagnent notre découverte nous semblent alors superflus. Il ne reste plus qu’à nous concentrer sur l’action et sur le jeu des comédiens qui, lui, reste déconcertant : tantôt cinématographique, tantôt caricatural ou encore dépourvu de toute émotion, il semble ne pas suivre de ligne précise.
Cet enchaînement d’éléments, tantôt attractifs, tantôt repoussants, provoque une sensation de perplexité et d’incompréhension. Quelle est la vraie intention du metteur en scène ? Cherche-t-il à exposer la problématique présente dans le texte, ou est-ce que celui-ci est plutôt un prétexte pour créer une scénographie fascinante ?
L’incompréhension du spectateur réside, à mon avis, dans le fait que chaque élément évoqué dans la pièce est exploité de façon excessive : l’ambiguïté entre réalité et fiction, le danger potentiel des jeux vidéo, la peur des parents, le jeu caricatural et grossier des personnages, l’aspect malsain qui se respire… Il aurait peut-être été plus efficace de laisser l’un de ces éléments prendre le dessus, et non pas d’en faire une proposition où tout reste extrême.