Réapprendre à vivre
Un peu de pluie pour attendre la nuit. Un peu d’amour pour oublier le jour. Un peu de temps pour être indifférent. Un peu de voyage pour tourner les pages.
« On voit partout de très vieux hommes détruire en construisant. » Une feuille morte me caresse la joue. Je lève les yeux et je vois la vie. Le chêne semble dédier toute son énergie à croître et à défier la gravité pour toucher le ciel. « Ne cherchons-nous pas tous un accroissement de notre être, Véra ? » L’homme tend aussi vers le ciel. Dans sa cavale, il laisse les traces de ses pas sur le papier. Course contre le soleil qui fait perdre la lumière, que reste-t-il pour les abeilles en hiver ? Peut-être que les nuages peuvent devenir des fleurs, et la pluie masquer le froid de nos pleurs. Peut-être que la réponse est dans le ciel. Le ciel est un rêve. Il n’a pas besoin de s’envoler pour être libre.
« Je ne réussirai jamais à imposer la liberté du ciel à ma peinture. » Quel est ce ciel que l’homme poursuit ? Peut-on réduire la vie à cette poursuite ? « La cavale devenait tout simplement la vie, mais j’en doutais encore. » Que recherche-t-il donc ? Que désire-t-il au prix de toutes ses forces, au prix même de sa liberté ? « La cavale édifie peut-être plus sûrement une geôle que la privation de liberté elle-même. ». L’homme désire comprendre, l’homme désire savoir. Il ne peut supporter « la cuisante incertitude du monde ». Mais pourquoi, dans cette course effrénée, prendre la peine de s’arrêter pour écrire, pour se souvenir, pour laisser des traces ? Pour ne pas laisser le point de fuite disparaitre de l’horizon : « Le souvenir n’aurait aucun sens si je n’étais pénétré de la certitude obscure que chaque jour le même interminable cri doit me déchirer la gorge et secouer le ciel. »
« Je n’avais envisagé que l’aspect romanesque des choses. » La vie n’est pas un paysage coloré à transcrire sur un tableau. La vie n’est pas romanesque. Essayer de se convaincre du contraire ne sert à rien. La vie est sombre et floue. C’est un brouillard : « La couleur n’est que rapportée, un chiffon de brume l’efface. Le monde n’est pas coloré, il est à peine colorié. » L’être humain n’est pas un héros qui poursuit sa quête de sens. L’essentiel n’est pas une idée parfaite, une lumière qui serait révélée aux hommes. Il est pauvre et aussi fade que le monde : « L’essentiel, en effet, qu’est-ce que c’est que ça ? L’anodin, le banal, la déroute quotidienne, voilà l’essentiel. »
Comment s’ancrer dans ce cas, lorsqu’on est comme lui « jeté au néant » ? Comment s’intégrer dans ce réel fade qu’on n’ose pas regarder ? Comment prendre sa place ? : « Mettez-vous à ma place, proposent les gens. Quelle étrange affaire, quand soi-même on ignore quelle place on occupe. » Comment se raccrocher au présent quand on court pour éviter d’être englouti par son passé ? « Le passé s’effondre, Véra, comment pourrais-je accéder au présent ? » Peut-être qu’il suffit de s’accepter, ou plutôt d’accepter de se révolter : « Je n’ai pas l’intention de rentrer dans le rang. », pour ensuite créer : « Je voudrais m’arrêter d’écrire et je ne peux pas, pas encore. », sans oublier de faire face à sa condition : « Ce que je prévois n’est que mortel. »