Remonter le temps
Le mari, la femme et l’amant, meilleur ami du mari : un triangle amoureux classique, mais raconté à rebours et réinventé par la grâce de l’écriture et de l’interprétation : c’est Trahisons d’Harold Pinter , dans une production de la compagnie Tg STAN .
Pour compléter cette critique, lisez le second article écrit par Justine Jacquemin et l’interview « à l’arrache » réalisée par Siham Najmi et Justine Jacquemin .
Tg STAN, ce fut mon premier choc théâtral. J’avais presque treize ans et la troupe jouait les Antigones aux Halles de Schaerbeek. Les deux textes de Cocteau et d’Anouilh, écrits respectivement en 1922 et 1944, étaient mis en scène l’un après l’autre dans un même spectacle.
Je me souviens d’une scénographie épurée à l’extrême et de vêtements contemporains en guise de costumes. Sur scène, il y avait d’abord et surtout le texte , qui s’imposait à nous, auquel on était forcés de prêter attention, jusqu’à le redécouvrir, l’accent néerlandophone nous le rendant en quelque sorte étranger. Je ne m’en suis jamais tout à fait remise.
Avec Trahisons , pièce écrite en 1978 par le dramaturge Harold Pinter, tg STAN s’attaque à un thème probablement tout aussi intemporel. Pendant sept ans, Emma (Jolente De Keersmaeker), a trompé son mari Robert (Frank Vercruyssen) avec le meilleur ami de celui-ci, Jerry (Robby Cleiren), qu’elle a aimé et avec qui, à l’insu de tous, elle a même loué un petit appartement. Des années de trahison. Mais reste à voir, en fin de compte, qui a trahi qui.
Le thème du trio amoureux est on ne peut plus classique. Mais, dans Trahisons , il est traité avec génie , à la fois grâce au texte d’Harold Pinter et à l’interprétation des comédiens. La façon qu’ont ces derniers de poser leur voix, leur manière presque détachée de dire leur texte, les silences, tout souligne à la fois la gravité et la banalité, bref l’humanité, d’une telle situation.
Le parti pris de présenter l’histoire à rebours participe aussi à l’originalité de la pièce. Un jour, des années après la fin de sa liaison avec Emma, Jerry apprend que Robert connaît le secret qu’ils ont si précieusement gardé pendant des années. Progressivement, scène après scène, on remonte dans le temps , jusqu’à parvenir au moment où tout se noue, à l’origine de la liaison entre les ex-amants.
Comme dans les Antigones , la scénographie est très épurée. Au fil de la pièce, les comédiens déplacent meubles et objets pour créer l’espace de jeu et reconstituer différentes ambiances. Pas de coulisses, tout est donné à voir au spectateur. C’est une économie de moyens non seulement assumée mais choisie, comme si la scénographie devait être la plus efficace possible en disant le plus avec le moins d’informations : pour représenter les différentes époques, il suffit à Jolente De Keersmaeker de changer de tenue. Ce choix scénographique met le texte en valeur tout en soulignant, peut-être, l’intemporalité et l’universalité de l’action dramatique. Plus profondément, il illustre les lignes directrices de la compagnie : détruire l’illusion théâtrale et privilégier le jeu dépouillé.
Tg STAN est décidément une troupe qui a de la suite dans les idées.
Pour compléter cette critique, lisez le second article écrit par Justine Jacquemin et l’interview « à l’arrache » réalisée par Siham Najmi et Justine Jacquemin .