Rencontre avec Peggy Thomas
Nous avons rencontré Peggy Thomas, la directrice du Théâtre de la Vie, dans son lieu tout en simplicité, à son image. Elle en a repris la direction il y a deux ans à la suite de son fondateur Herbert Roland.
La ligne artistique définie par Peggy Thomas est de soutenir la jeune création (25-40 ans) qui a déjà fait ses preuves mais n’est pas nécessairement soutenue par les institutions. Elle veut proposer un soutien à ces artistes qui sont « en phase de maturation dans le travail ». Elle essaie de leur donner les meilleures conditions de travail avec un budget limité. Elle fait comme elle le dit de « la création professionnelle mais avec une dimension artisanale et solidaire ». Elle ne produit ni ne coproduit les spectacles mais propose des partenariats avec les artistes auxquels elle propose un accompagnement : recherche de financement, diffusion, soutien logistique, dates de représentations… Elle offre aussi des secondes vies à des spectacles qui n’« ont pas toujours de lieu d’atterrissage ».
Elle choisit huit projets par an qu’elle retient en fonction de l’urgence à dire et de la démarche artistique. Elle leur propose un « espace de création tout à fait intègre où l’on peut encore prendre des risques ». Ce n’est cependant pas un lieu d’expérimentation parce qu’elle est très attentive au facteur de lisibilité. Le spectacle doit rencontrer un public qui se sent concerné.
Revue de saison
Passons en revue avec elle les spectacles de la saison et les raisons de ses choix. Le programme s’ouvrira avec un spectacle borain, Pigeons , qui témoigne de la passion colombophile du comédien Kevin Defossez : attendre les pigeons, en prendre soin, regarder le ciel. Peggy Thomas aime le caractère éminemment « désuet » de cet autre monde assez méconnu. Elle jubile à l’idée d’ouvrir la saison avec un spectacle qui réintroduit de la poésie dans la vie et propose d’« arracher du temps dans nos existences ».
Elle accueille également la compagnie Gazon-Nève, dont elle se sent « très proche dans la sensibilité artistique ». Cette compagnie joue sur le mentir-vrai. Son principe est de partir de quelque chose qui est arrivé à l’un de ses membres et d’entrer ensuite dans le domaine de la fiction. Synovie , le spectacle proposé par Jessica Gazon, évoque la mystérieuse maladie vécue par Jessica elle-même lors de son adolescence. Il avait été présenté en mai 2015 aux Riches Claires. Ce spectacle permet de questionner la santé et le domaine du soin : qu’est-ce qu’être malade ? Quelles sont les répercussions de cet événement au sein d’une famille ? Peggy Thomas est particulièrement touchée par le sujet et par le traitement poétique du spectacle qui aborde la vulnérabilité, la défaillance. « On est charriés par nos propres paradoxes d’être forts et vulnérables. »
Une autre reprise qui lui tient particulièrement à cœur est le spectacle de Soufian El Boubsi, Ils tentèrent de fuir , nommé pour la meilleure écriture l’année dernière. Elle connaît Soufian depuis longtemps et « c’est un garçon passionnant à qui j’avais envie de donner la parole dans une carte blanche en tant que metteur en scène ». Avec Joachim Olender, il a adapté le roman de Georges Perec, les Choses . « C’est une gageure de mettre en scène cette longue voix off. » Le propos de Perec, qui abordait l’un des tout premiers, au milieu des années 1960, la question de la consommation, est troublant d’actualité. Le mérite du spectacle est toutefois de ne pas donner des leçons mais « de déposer des questions de société par le biais d’une esthétique magnifique. »
D’autres textes classiques seront présentés . Car « il est important qu’il y ait un équilibre entre la création pure et des classiques de la littérature. Pas tellement pour l’idée de catalogue mais surtout pour témoigner d’une diversité de langages, d’une complexité de points de vue ». C’est ainsi quelle proposera Reflets d’un banquet , mis en scène par Pauline d’Ollone, une jeune metteuse en scène qui finalise son processus de création au Théâtre de la Vie. Pauline d’Ollone a trouvé « une théâtralité, hyper-simple, hyper-directe pour adapter le Banquet de Platon». C’est une invitation sur l’échange, dans une esthétique épurée, qui sera proposée durant les fêtes de fin d’année.
Voyage au bout de la nuit de Louis-Ferdinand Céline sera aussi présenté par Damien De Dobbeleer. C’est un texte qui posait au départ problème à Peggy Thomas en raison de son caractère « cynique et extrêmement sombre ». Mais le metteur en scène l’a convaincue et elle a eu envie de faire confiance. Damien De Dobbeleer défend son intention de mise en scène en prônant l’appel à la liberté, à la lumière, à l’amour contenu dans le texte de Céline, ce qui la réjouit tout à fait. Elle rappelle ici une des lignes fondatrices de sa politique de programmation : « Au théâtre, je veux que les gens soient questionnés mais en aucun cas agressés ou violentés. Nos vies sont déjà tellement porteuses de violence. Le théâtre doit être une réconciliation avec soi-même. Moi, en tant que spectatrice, j’ai besoin que l’on me parle intelligemment et gentiment. »
Mentionnons encore la pépinière de talents. Le comédien Alan Bourgeois propose un spectacle décalé du théâtre de l’absurde, Jours d’été , du Polonais Slawomir Mrozek, avec une très belle distribution d’acteurs. Ce spectacle déjà joué à Spa a reçu les éloges de la presse. « Ça marche parce que c’est drôle. La direction d’acteurs est très claire. Et c’est super-bien joué ! » dit-elle.
Peggy Thomas met aussi à l’honneur des collectifs pour lesquels elle a une attention particulière. Cette année, le comédien Alexandre Tissot, qui évolue aussi dans le domaine de la danse contemporaine, viendra présenter un spectacle chorégraphié du collectif YawningSoloConversations Dance Collective. Une manière d’aider la jeune création en danse. Elle soutiendra aussi le collectif Alcantera, qui a déjà monté plusieurs projets sans financement. Elle se dit qu’elle peut leur offrir « ce petit coup de pouce » en leur donnant l’occasion de présenter Un tramway nommé désir de Tennessee Williams au Théâtre de la Vie.
Les soirées slam , un lundi par mois, lancées par Herbert Roland, sont maintenues au programme. Les trente premiers inscrits auront trois minutes de temps de parole libre. Peggy Thomas trouve du sens dans ce principe de démocratie où l’« on écoute et on accueille ». Ces soirées attirent énormément de monde et répondent à une demande grandissante.
Le Théâtre de la Vie, c’est aussi une équipe dynamique et autonome qui s’est fédérée autour de la figure de Peggy Thomas dans un projet collaboratif. On ressort en tout cas de cette rencontre avec de l’énergie. Un lieu moteur de vie, à (re)découvrir !